Créer la magie

À quelques victoires à peine de la séquence notoire de 28 de Cam Fella, cette petite pouliche de l’est est en voie de larguer sa concurrence.


Par Perry Lefko
Photos par Ann MacNeill
Traduction Louise Rioux

Le soir du 6 juin 2010, au Truro Raceway en Nouvelle-Écosse, quelque chose d’ahurissant est arrivé. C’était ce genre de moment qui laisse les amateurs de course et les hommes de chevaux en état de choc et ébahis. Un peloton de huit pouliches de trois ans s’est amené à la barrière de départ pour une course ‘stake’, et dès le départ, la favorite à 1-9 a brisé son allure après avoir frappé la barrière pour se retrouver à 18 longueurs de retard après un quart de mille. Elle paraissait désespérément battue sur la piste détrempée rendue glissante par la pluie, et personne n’aurait pu imaginer ce qui allait se dérouler. Avec légèrement moins d’un demi-mille à faire, la favorite a enclenché un mouvement, rongeant le terrain et courant à trois de large, doublant les chevaux comme s’ils étaient arrêtés. Elle n’était distancée que par deux et trois quarts de longueur avec un quart de mille encore à franchir et elle a gagné en s’échappant par plus de deux longueurs, amblant le dernier quart de mille en 28.2 secondes.

  C’était Meridian Magic – la Fée Magique comme l’appellent affectueusement ses soigneurs – qui venait de concrétiser ce qu’elle fait le mieux : gagner.

Après une deuxième position et deux troisièmes lors de ses trois premiers départs à vie, Meridian Magic a dominé les courses pour ambleuses de deux et trois ans dans les Maritimes, en gagnant 24 d’affilée, toujours sans défaite au moment d’écrire ces lignes. Elle a gagné en partant en avant. Elle a gagné à partir du milieu du peloton. Elle a gagné de la position extérieure et, tel que mentionné, elle a gagné de la toute dernière position après avoir brisé son allure avant même le début de la course.

En tout, elle a collecté 137 442 $. Mais il y a encore plusieurs jours payants à venir et de nombreuses courses à gagner, avec possiblement un transfert en Ontario à quelque part au début de la nouvelle année, pour se mesurer à de la concurrence plus féroce. À ce temps-là, elle pourrait bien avoir égalé ou dépassé la séquence de 28 courses en ligne établie par Cam Fella, la Pacing Machine (la Machine à ambler), qui a enregistré ce record à quatre ans en 1983.

Pour le propriétaire/éleveur Barry Martin, un homme de chevaux de deuxième génération dont les intérêts commerciaux comprennent aussi la propriété d’un hôtel, d’une station radiophonique et d’autres propriétés et terrains tant à Sydney qu’à ses alentours, et son partenaire James (Champ) Gillis, un superviseur à la retraite du département des travaux publics de Sydney, et le vétéran conducteur/entraîneur de 30 ans d’expérience, Kenny Arsenault, Meridian Magic est unique, un cheval exceptionnel dont tout homme de chevaux rêve, quand on en connaît la rareté. « C’est comme un rêve devenu réalité pour nous, » ajoute Gillis. « Je suis un artisan du sport depuis fort longtemps, mais je n’ai jamais eu quelque chose comme elle. »

Ce qui est encore plus remarquable que la vitesse et l’endurance de la pouliche, est sa taille. Elle n’est pas plus haute qu’un poney et ne pèse que quelque 800 livres. Elle a par contre, un long poitrail – portant des enfarges de 59 pouces. Et ce dont elle manque en stature, elle le compense par son grand cœur. De ce point de vue, elle est très grande, dominant la concurrence. Et elle glisse sur la piste avec autant de fluidité qu’un voilier en eaux tranquilles.

Meridian Magic est un produit du reproducteur Largo (PE) et de la jument Hot Asset de la lignée Apaches Fame. Largo (PE), un poulain Cam Fella-Ombre Rose, a gagné 736 910 $ en 180 départs en carrière et une marque de 1:51 pile. Hot Asset a couru 69 fois, gagnant 16 fois et terminant dans l’argent 37 fois pour des gains de 19 566 $. Elle a couru la première partie de sa carrière sur le circuit régional ‘B’ en Ontario et fut ensuite emmenée dans les Maritimes à la suite d’un changement de propriété.

Après sa carrière en course, et après sa première saison d’accouplement, la jument fut achetée par Martin pour quelque 5 000 $. Lui et Gillis opéraient une modeste exploitation d’élevage, plutôt comme un hobby. Hot Asset s’est révélée une poulinière utile, et quand elle a été croisée à Largo, tous ses foals se sont rendus en course. Martin avait toujours voulu accoupler à Largo, un cheval possédant une vitesse et une intelligence décentes, mais n’y était pas arrivé. « Nous n’avions vraiment pas d’attentes, pas plus qu’avec n’importe quel de nos chevaux, » dit Martin à propos de Meridian Magic. « Vous accouplez les meilleurs avec les meilleures et espérez pour le mieux, et c’est justement ce que nous avons fait. Nous avions le sentiment d’avoir un bon croisement avec Largo. »

Martin a nommé le poulain bai issu de cet accouplement, Meridian Magic, tirant la première moitié de son nom d’un hôtel qu’il possédait, et qui a depuis été rebaptisé le Martin Arms. Il avait une légère inquiétude au sujet de la pouliche, principalement à cause de sa mère et de son tempérament bouillant. « Hot Asset était un nom qui lui convenait très bien, » dit Martin en riant. « J’étais inquiet du fait qu’à cause de son bouillant caractère, elle ne saurait être une bonne mère. Mais elle s’est révélée phénoménale. »

Martin et Gillis aimaient la façon dont Meridian Magic se tenait et se déplaçait dans le paddock et ils étaient très encouragés quand ils l’ont confiée à un vétéran homme de chevaux pour être débourrée. Une fois cela fait, Gillis prit en main son entraînement. Il l’a entraînée pour arriver à un mille en 2:12, et l’envoya par la suite à l’écurie de Arsenault au Charlottetown Driving Park; il dit à l’entraîneur qu’elle était une pouliche de première classe mais qu’elle avait besoin de formation.

Arsenault lui apprit à s’assagir, et tôt en juillet, il l’a qualifia à Charlottetown. Elle a amblé en 2:03.1, gagnant par 2 1/4 longueurs et un chrono de 29.2 dans son dernier quart de mille. Onze jours plus tard, Meridian Magic a fait ses débuts dans les courses ‘stake’ de l’Atlantique au Summerside Raceway, en faisant face à six autres concurrents et partant avec des cotes de 6.80-1 aux mains du conducteur Vince Poulton (l’une des deux seules fois en carrière où elle n’a pas été menée par son entraîneur). Arsenault dit à Poulton de ne pas sortir trop fort en début de course, et elle connut un bon premier départ en carrière, finissant troisième par trois longueurs. Sept jours plus tard, elle a effectué son second départ à vie, cette fois au Fredericton Raceway, avec Arsenault dans le sulky pour la première fois. Elle a terminé troisième par une demi-longueur, courant cette fois le dernier quart de mille en 28 pile. Six jours après, c’est au Truro Raceway qu’elle a couru et fut placée deuxième par un tiers de longueur.

Elle a effectué son quatrième départ en moins d’un mois au Charlottetown Driving Park (cette fois dans une course pour novices) et la favorite à 3-10 se présenta au poteau avec cinq longueurs d’avance. À peu près au moment de ce quatrième départ, Arsenault a remarqué que Meridian Magic avait tendance à se frapper les genoux, il l’équipa donc d’une paire de genouillères en feutre. Elle gagna sa course suivante par huit longueurs. « À chaque semaine, elle s’améliorait et améliorait son allure, » dit-il. « Je crois que le changement d’équipement constitua son meilleur atout tout au long de sa carrière de course. »

La pouliche a enregistré 11 victoires consécutives avant d’être retirée pour la saison, pour des gains de 76 362 $ et une marque de 1:58 2/5. Elle s’est emparé de l’Atlantic Triple Crown pour les deux ans, l’exploit émanant de la Maritime Breeders Final avec 38 720 $, laquelle elle a mené de fil en fil et inscrivant une victoire avec 6¾ longueurs. Un aspect insolite de la situation à mentionner, le finaliste, C H Yocoohno, était également entraîné par Arsenault.

Arsenault admet que Meridian Magic paraissait de plus en plus forte de course en course. « J’avais tellement confiance en elle lors de ses six ou sept derniers départs en tant que deux ans. J’en étais venu à croire que la seule façon de perdre pour elle ne dépende que d’une mauvaise conduite, réellement, » dit-il. « C’est de cette façon dont elle s’imposait. Lors de ses trois derniers départs de l’année, elle était aussi forte qu’à ses deux premiers. »

Gillis et Martin disent tous deux que la compétence de Arsenault à assagir la pouliche a fait toute la différence du monde. « Elle s’est vraiment calmée après être arrivée chez Kenny parce qu’elle y a vu beaucoup de chevaux, » dit Gillis. « Quand elle s’entraînait à sept heures le matin à Truro, elle ne voyait jamais de chevaux. Elle aurait pu être une jument au caractère vraiment bouillant si Kenny n’avait pas pris son temps avec elle. »

« Kenny mérite beaucoup de crédit, » d’appuyer Martin. « Il a été patient avec elle. Elle aurait pu être vraiment violente s’il ne lui avait pas enseigné comment courser et la ramener pour lui enseigner ensuite comment se sortir d’une boîte. »

Arsenault dit que Meridian Magic a effectué un revirement remarquable s’il la compare au moment de son arrivée à son écurie.

« Cela m’étonne encore de penser comme elle était bête en arrivant et comme elle est intelligente maintenant, » ajoute-t-il. « Elle a fait tout ce changement en 18 mois. Et la volonté de gagner… voilà probablement pourquoi elle a été difficile à débourrer. Elle avait sa propre tête et personne n’allait la faire plier. Ils ont fait du bon travail en ne cassant pas son esprit de gagnante parce qu’elle a une attitude incroyable. »

La saison de ses trois ans a offert quelques défis à son talent… et à sa séquence de victoires. C’est lors de son second départ de la saison que la pouliche a démontré ses vraies couleurs lors de sa lutte la plus difficile… c’est lors de ce départ qu’elle a brisé son allure au départ et qu’elle s’est retrouvée à 18 longueurs de retard au premier quart de mille. Elle a remonté le peloton pour venir gagner dans le dernier demi-mille, démontrant son talent particulier accompagné de l’effort nécessaire, ce qui a laissé tout le monde sans voix.

« C’était la première course où elle a réellement exprimé tout son bagage, » de dire Martin. « Il s’agissait de son tout premier test devant l’adversité. Ce qu’elle a fait était tout simplement étonnant. Personne dans l’auditoire à la piste – et j’ai discuté avec des hommes de chevaux qui sont dans l’industrie depuis plus de 30 ans – n’avait jamais rien vu de pareil. C’était tout simplement vraiment époustouflant. Elle est un athlète équin qui aime son travail. Elle n’aime pas du tout perdre. »

« J’ai comme mal évalué la vitesse de la barrière et elle s’est amenée tout près; elle a bloqué les pieds et s’est effrayée, » se ­rappelle Arsenault. « Puis elle s’est rabattu les oreilles par en avant et s’est lancée. Je ne lui ai jamais parlé ou quoi que ce soit. Elle a fait tout cela d’elle-même. Je l’ai maintenue à trois de large jusqu’aux cinq-huitièmes. Elle voulait tellement s’en aller en avant maintenant. Je n’ai jamais rien vu de pareil ici. Son attitude est tout à fait incroyable. Tout ce qu’elle veut, c’est de gagner. Je ne pense pas avoir déjà mené un cheval voulant autant s’en aller en avant et gagner. »

« Je ne peux aller nulle part chez nous sans que quelqu’un s’en informe, » selon Martin. « Tout le monde dans les Maritimes la connaît et sait exactement ce qu’elle fait, combien de victoires elle détient. C’est assez excitant. Ce que je trouve particulièrement intéressant ce sont les gens qui viennent à l’écurie pour la voir, et quand ils la voient, ils disent, ce petit cheval est Meridian Magic? Elle a l’air tellement plus grosse sur la piste’. Vous ne croiriez pas le nombre de personnes qui viennent la voir à l’écurie. Elle est le cheval le plus populaire sur la piste. C’est une ‘Little Mighty Mouse’, je suppose. C’est un petit cheval au record impressionnant et au cœur immense. Elle crée beaucoup de magie. »

Aux yeux de Arsenault, c’est un privilège d’être autour d’elle quotidiennement et de jouer un rôle dans son succès ahurissant; particulièrement, de participer au défi de l’entraîner afin qu’elle soit à son meilleur en tout temps. « La maintenir à la fine pointe toutes les semaines, c’est une de mes grandes fiertés, » dit-il. « Aujourd’hui, elle est très facile à entraîner. Elle s’est très bien débrouillée d’elle-même, mais j’ai une petite part dans cela, eh? »

Mais chaque fois qu’elle se présente à la barrière aujourd’hui, il y a un sentiment d’anticipation et d’anxiété chez Gillis et Martin – dû à sa séquence de victoires.

« Je deviens nerveux à chaque fois qu’elle course, » dit Gillis en riant. « Je panique plus avec elle qu’avec n’importe quel autre cheval, sans doute, parce qu’elle en pleine séquence de victoires. C’est beaucoup de pression. Ce sera une bien triste journée quand elle sera battue. »

« Soyons réaliste, les records sont bien intéressants, » d’ajouter Martin. « Plus vous avancez dans une séquence, plus la pression semble monter. Je ne suis pas moins nerveux maintenant que je ne l’étais probablement après sa troisième victoire. C’est une course de chevaux et tout peut arriver. Il faut avoir beaucoup de chance en course pour enregistrer 23 victoires d’affilée. Je crois fermement à la chance en course, et je crois que si elle en a encore un peu plus, elle occupera la place d’honneur lors de ses courses ‘stake’ et qu’elle sera en compagnie de l’élite quand elle arrivera à cela. »

Arsenault, qui dit que de surpasser le record de Cam Fella consisterait en la plus grande satisfaction de toute sa carrière en courses de chevaux, dit aussi que Meridian Magic est peut-être assez intuitive quant à savoir ce qui se passe.

« Elle y a mis toute la gomme lors de ses deux ou trois derniers départs, » ajoute-t-il. « Vous jureriez qu’elle sait ce qui arrive parce qu’elle est très sûre d’elle.

Comme pour tout grand cheval, il y a habituellement une histoire latérale, quelque chose d’humain qui va bien au-delà du succès en piste. Dans ce cas-ci, c’est très simple : deux propriétaires de chevaux de longue date et un vétéran professionnel des chevaux connaissent l’expérience de toute une vie.

« Je pense que l’histoire est celle de deux joyeux lurons qui sont dans l’industrie des courses de chevaux depuis fort longtemps et qui ont toujours espéré et rêvé d’un cheval qui gagnerait la Triple Couronne des Maritimes, ce qu’elle a fait l’an dernier, et dont elle a accompli le tiers du chemin à parcourir pour répéter l’exploit cette année, » de dire Martin. « C’est tout à fait possible pour deux gars d’une piste locale, d’accoupler un cheval et de la voir réaliser tous vos rêves. Nous avons acheté et entraîné des chevaux qui ont gagné de 400 000 $ à 500 000 $ (après avoir été vendus jeunes). Mais nous n’en étions pas les propriétaires à ce moment-là. « Nous faisons partie de cette histoire depuis ses tout débuts. C’est assez spécial de suivre un cheval tel Meridian Magic. En termes d’un cheval que nous avons gardé et engagé dans des courses, rien ne peut se comparer à elle. En ce qui concerne cette pouliche, rien ne saurait me surprendre. »

Arsenault dit qu’il est tellement pris par le conditionnement de la pouliche qu’il n’a pas encore eu le temps de relaxer et réfléchir à ce moment. Mais quand il le fera, ce sera très certainement quelque chose qu’il chérira. « Quand tout aura été dit, je relaxerai probablement en me disant ‘Oh, geez, quelle aventure, quelle aventure, » admet-il.

Une aventure magique, à vrai dire.

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