Intervenir

Grâce au Chef de police adjoint de Charlottetown, Gary McGuigan, une poignée de juments poulinières standardbred ont jeté les bases de nouvelles possibilités pour des ­adolescents en difficulté de sa communauté.

By Keith McCalmont
Photos by Alanna's Photo
Traduction Louise Rioux

Une enfance dans le luxuriant paysage de l’île-du-Prince-Édouard, devrait être remplie de bons amis et d’esprit d’aventure. Mais derrière cette façade familière du terrain de jeu paradisiaque, se cache une vie de désespoir et de désaffection pour les enfants et adolescents du programme ‘Youth Intervention Outreach Program’ (programme d’intervention auprès de la jeunesse) de Charlottetown. Voulant redonner à sa communauté, l’adjoint au chef de police de Charlottetown, Gary McGuigan, a ouvert sa maison – et son écurie de poulinières – pour venir en aide à ces jeunes qui, autrement, seraient incarcérés.

Ils font face à une myriade de problèmes. « La toxicomanie en est un gros, » dit la travailleuse sociale de la famille et de la jeunesse, Jane Wood. « Il y a des problèmes de santé mentale. THADA (trouble d’hyperactivité et déficit de l’attention). Peu d’estime de soi. Manque d’empathie. Manque de structure. Colère. Il y a beaucoup d’enfants en colère. Plusieurs vivent dans des foyers instables, ou n’ont aucun endroit où aller. Nous rencontrons bien des problèmes de logement ces temps-ci. »

Heureusement pour le nombre sans cesse croissant de ces jeunes rebelles du programme, McGuigan dispose de quelques poulinières prêtes à offrir un soutien silencieux et sans jugement à sa ferme de Mount Herbert. « Ce n’est pas une grosse ferme. Elle ne fait que quelque quatre acres en périphérie de la ville, et nous avons deux poulinières. Ce n’est pas un grand espace, mais il nous convient parfaitement, » dit l’adjoint au chef de police à propos de son domicile familial, où, chaque saison, deux jeunes contrevenants se voient proposer une alternative positive. « Nous assignons aux enfants un cheval avec lequel ils travailleront. Nous les accueillons six ou sept semaines avant la date de mise bas de la jument et les laissons travailler auprès d’elle et bâtir un lien avec elle. Nous leur enseignons les rudiments des soins à prodiguer aux chevaux de même que quelques conseils sur le rôle de palefrenier, et nous leur disons aussi ce qu’ils doivent surveiller quand la jument montrera des signes que la date de mise bas approche. »

Le programme convient parfaitement à un certain nombre d’adolescents en difficulté qui ont désespérément besoin de sentir un lien d’appartenance à quelque chose – peut-être pour la toute première fois de leur vie, à quelque chose de positif.

C’est ici que Chuck MacPherson, un travailleur social intervenant auprès de la jeunesse et qui est le lien entre le bureau du Procureur général et la police de Charlottetown, entre en action, quand c’est possible, pour placer les jeunes en difficulté dans des programmes de diversion et les maintenir hors de l’appareil judiciaire. « Chuck travaille avec des enfants tout juste à la veille de se retrouver en rupture avec la loi, » explique Wood. « Gary est venu à Chuck avec cette idée d’amener les enfants à travailler auprès des chevaux. »

La turbulence à laquelle fait face un jeune en difficulté élargit le vide qui peut être rapidement comblé par des passe-temps destructifs. Tel était le cas de Jill, (une enfant que nous ne pouvons identifier ici que par son prénom pour des motifs d’ordre juridique.) « Elle s’acoquinait avec des gens qui volaient des véhicules et autres biens. Elle avait des problèmes de consommation. Elle prenait tout ce qui pouvait lui tomber sur la main ou faisait tout et n’importe quoi. Elle était une enfant très en colère. J’ai développé un bon lien avec elle afin de pouvoir, au moins, discuter de sa vie. »

Jill n’avait que 12 ans quand elle fut présentée à Wood la première fois, et elle était bel et bien sur la voie d’une vie du mauvais côté de la loi. Cette voie à sens unique empruntée par Jill qui la menait droit à une incarcération certaine, a par contre croisé la route, quelques années à peine plus tard, du programme d’intervention mis sur pied par McGuigan, érigé autour des soins à donner à ses juments poulinières, Entry System et Southview Minnie.

« Les chevaux représentent une prémisse pour les enfants, » explique McGuigan. « Bon nombre de ces enfants avec qui nous devons traiter n’ont pas accès à ce genre de service. Ils ne sauront voir les bienfaits que leur apporteront les chevaux. Ils ne vont pas à une école d’équitation. Ils ne vont pas à des camps d’été. Ils ne participent à aucune structure sportive. Ils ont donc beaucoup de distractions et beaucoup de temps, ce qui les rend vulnérables à des conflits avec la loi. Ce que nous tentons de faire avec les chevaux est de leur donner un certain exutoire et leur permettre de voir un côté différent de l’officier de police. Nous essayons de les aider à établir un lien non seulement avec les chevaux mais avec le service de police. »

Jill vivait dans un foyer de groupe au moment de l’intervention et elle ne parlait pas à sa famille. Alors à l’écurie de McGuigan, elle n’était pas que jumelée à Southview Minnie, mais elle était intégrée à une vie familiale structurée. « J’ai ouvert les portes de l’écurie aux enfants, en effet, mais nous leur avons aussi ouvert les portes de la maison, » dit McGuigan. « Mon épouse s’implique. Ma fille est aux alentours. Nous accomplissons nos tâches auprès des chevaux et nous essayons de capter ces moments d’enseignement pour renforcer tout ce que les enfants font de positif. Alors tout ce qu’ils font de bien auprès des chevaux, nous tentons de renforcer tout cela par de l’interaction positive. Quand le travail à l’écurie est terminé, nous rentrons et mangeons un petit quelque chose et maintenons les choses normalement pour les enfants. »

Adolescente en difficulté, Jill n’avait pas souvent porté respect, fait preuve de patience ou d’engagement à même compléter un semestre scolaire, mais sous l’œil attentif des juments de McGuigan, le bon en Jill a commencé à se pointer. « Quand nous sommes arrivés, Gary nous a expliqué comment notre comportement pouvait affecter les chevaux et comment les chevaux pouvaient ressentir si vous connaissiez une mauvaise journée ou si vous étiez fâché, » dit Wood. « Tout ce que vous ressentez, les chevaux le ressentent aussi, et nous pouvions vraiment le constater. Si Jill connaissait une mauvaise journée, Minnie ou Entry amblaient aller-retour – et comme ma tâche est un peu stressante, alors je pensais que c’était à cause de moi. Jill et moi parlions de notre journée et tout de suite les chevaux commençaient à se calmer. Je ne l’aurais jamais cru si je ne l’avais pas vu de mes propres yeux. »

Au fur et à mesure que les juments se détendaient, Jill se détendait aussi parce qu’elle s’épanchait sur une conseillère qui n’avait d’autre à lui offrir que des naseaux pour renifler ou un ­hennissement d’encouragement.

« Je disais à Jill ‘raconte au cheval ce qui se passe dans ta vie’, » se remémore Wood. « Alors elle commença à parler au cheval et c’était incroyable de voir comment sa tête tombait. La jument relaxait et Jill appréciait beaucoup cette partie. Une fois, après avoir partagé l’histoire d’une journée particulièrement difficile avec les chevaux, elle dit, ‘je ne sais pas pourquoi Jane, mais je me sens tellement mieux après’. »

Durant une période de six semaines, Jill évolua bien et trouva le réconfort dans la routine et la responsabilité de prendre soin de sa jument.

« Je pense que Gary serait d’accord pour dire qu’elle a excellé là-bas, » de dire Wood. « Elle n’a jamais manifesté de colère envers Gary et elle le respectait tout comme elle respectait sa famille. Elle descendait les sacs des moulées sans qu’on ait à le lui demander. Elle savait comment toiletter les chevaux. Je pense qu’elle se sentait tout simplement à l’aise. C’était un environnement très accueillant. Quand Gary était à la maison, il ne portait pas son uniforme. Il n’était que Gary le fermier.

Gary le fermier se rappelle sa propre enfance, et il veut partager son expérience avec ceux qui en ont le plus besoin. « Quand j’étais enfant, je rôdais autour de l’hippodrome à Charlottetown, » raconte McGuigan doucement. « À l’âge de 13 ans, mon père est décédé, et j’ai commencé à passer plus de temps auprès des chevaux pour en arriver à vraiment apprécier la valeur ­thérapeutique de ces animaux. J’ai pensé que peut-être je pouvais utiliser mes chevaux pour transmettre ces présents à d’autres enfants qui pourraient en bénéficier. »

Bien que McGuigan soit évidemment sur l’étroit sentier de la droiture aujourd’hui, l’adjoint au chef de police est bien versé en matière de pentes glissantes de l’adolescence. « Grâce à Dieu! Nous aurions tous pu prendre des routes différentes, » dit McGuigan. « J’en alloue tout le crédit aux chevaux pour m’avoir épargné les ennuis. Et non seulement les chevaux, mais aussi les quelques personnes qui travaillent auprès des chevaux. Il y a de ces gens dans l’industrie des courses attelées qui sont de bons mentors et qui ont beaucoup à partager. »

McGuigan en est aux étapes préliminaires de l’extension du programme pour inclure l’expérience en piste au Charlottetown Driving Park. « Ce ne sont pas tous les enfants qui sont doués pour les études, » fait-il remarquer, « et le système scolaire comporte des programmes déjà établis qui pourraient leur accorder des crédits pour le travail non traditionnel. S’ils pouvaient aller passer quelque temps avec un des entraîneurs en avant-midi et devoir rédiger un texte sur le sujet, par exemple… je ne vois pas pourquoi ça ne pourrait pas réussir pour quelques-uns. »

En bout de ligne, l’objectif n’est pas seulement de sortir les enfants de la rue et de les tenir à l’écart des ennuis, mais aussi de leur ouvrir d’autres avenues et possibilités. « Si nous pouvions intégrer tôt les enfants dans des programmes de diversion, je pense que ce serait de bon augure pour tout le monde. Je n’irais pas jusqu’à dire que ces programmes réussiraient à tous les enfants, parce que parfois ils ne réussissent pas. Il y a des enfants qui ont besoin d’être incarcérés, » avertit McGuigan. « Mais il existe des programmes de diversion qui réussiront avec plusieurs de ces enfants. Il faut juste identifier ce qu’ils aiment. Ils ont tous des aptitudes, des forces et des faiblesses, mais si on peut faire quelque chose pour les aider à faire ressortir ces forces et découvrir qui ils sont, c’est de bon augure pour leur avenir – particulièrement dans les petites communautés comme la nôtre. »

Pour la jeune Jill, prendre soin de la poulinière devait se terminer sur une autre tragédie quand Minnie perdit son bébé; mais cette fois, c’était une tragédie qui allait donner du courage à la jeune fille. « Jill vivait dans un foyer de groupe et elle voulait rendre visite à sa mère qui ne voulait pas la voir, » se rappelle McGuigan. « Peu après, la jument a donné naissance à un foal mort-né. Ce fut intéressant de voir cette enfant jouer un rôle maternel auprès de la jument en l’entourant et en lui donnant les soins même après que sa propre mère l’eut rejetée. En la voyant toute aux petits soins pour ce cheval, vous réalisez que tout est relatif. C’est étonnant de voir cette enfant créer un lien et parler au cheval et avoir de l’empathie pour elle alors qu’elle-même vivait son lourd bagage. »

Les soins prodigués par Jill a touché une corde différente chez Wood. « J’appréhendais la réaction de Jill, » se rappelle Wood. « Mais quand je lui annoncé la mort du foal, elle était vraiment attristée pour la jument et pour Gary et sa famille. Le fait qu’elle démontre ce genre d’empathie pour une famille qu’elle n’avait rencontrée que six semaines auparavant, était un grand succès. »

Jill pouvait bien être une enfant aux rudes manières, mais l’engagement qu’elle a démontré dans son travail à la ferme McGuigan, la compassion dont elle a fait preuve dans l’épreuve qui a frappé Minnie, a sonné le rappel opportun de tout le potentiel de ces jeunes participants au Programme d’intervention auprès de la jeunesse. « Ils ne sont pas venus au monde comme cela, » de souligner Wood. « Ils ont traversé bien des difficultés et tout ce dont ils ont besoin, sont des gens prêts à leur donner une chance de montrer le bon en eux. Son estime de soi s’est ravivée après avoir été partie prenante de ce programme. Elle est encore intéressée par ce que fait Gary et nous parlons des chevaux et je lui montre des photos et ça l’intéresse beaucoup. »

La participation de Jill à ce programme est maintenant terminée, et l’événement a été souligné par une cérémonie de graduation sous la présidence de McGuigan et sa famille. C’était probablement la première cérémonie de graduation que l’adolescente n’ait jamais expérimentée, et les bénéfices de ce bref encadrement s’épanouissent encore. « Elle participe à un autre programme et défriche quelques autres issues, » dit Wood. « Elle est retournée à l’école et a terminé quelques programmes scolaires. Elle n’avait jamais encore complété un semestre à l’école. »

« Son niveau de toxicomanie est passé de dix à trois et elle ne consomme presque plus de drogues ni alcool. Elle va beaucoup mieux. Elle ne connaîtra jamais une vie parfaite à cause de la terrible vie qu’elle a vécue à ce jour – mais elle réussira du mieux qu’elle le pourra. Les petites réussites, voilà ce que nous recherchons.

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