Les Survivants Madelinots

Pour une piste de course sans bourses ni pari mutuel, le Centre Alfred-Gallant possède de façon tout à fait surprenante, une riche histoire. Depuis plus d’un quart de siècle, il présente des courses de standardbred les dimanche après-midi, de mai à octobre, pour un petit cercle de quelque 200 fidèles et loyaux amateurs dans le village de Fatima, aux Îles-de-la-Madeleine – un trajet de six heures par traversier au plus proche hippodrome de l’Île-du-Prince Édouard.

Construit, maintenu et exploité par des bénévoles, l’ovale d’un demi-mille situé dans le golfe du Saint-Laurent a été nommé d’après un prêtre local qui aimait beaucoup les courses de chevaux. Sa liste d’anciens présidents contient aussi le nom d’une personne ayant perdu la vie de façon tragique sur le site alors qu’il était à installer des clôtures. Lors du lancement de la vingt-sixième saison en mai dernier, le Centre Alfred-Gallant se trouvait aussi à être le seul hippodrome en opération au Québec. « Les courses de chevaux sont une très ancienne tradition ici, et elles sont un événement social et une activité familiale, » d’expliquer l’actuel président de la piste, Gérard Chiasson. « Les parents et grands-parents emmènent leurs jeunes, ce qui contribue à les intéresser. C’est une activité plutôt touche-à-tout. Les enfants peuvent aller toucher les chevaux et parler aux conducteurs et aux entraîneurs. Il n’est pas question d’argent ici. On parle de convivialité et d’amour pour les animaux et la nature. »

Chiasson, 38 ans, est un enseignant en sciences au secondaire quand il ne voit pas aux affaires de la corporation sans but lucratif ou n’entraîne pas son cheval, un étalon de douze ans du nom de Encore Idlam qui lui a été offert en cadeau il y a trois ans par un éleveur local. Encore Idlam est l’un des quelque deux douzaines de standardbred à composer la réserve de talents pour le spectacle de course hebdomadaire au Centre Alfred-Gallant. Ils sont départagés dans trois classes, selon leurs performances récentes, et courent deux épreuves sans bourse, encouragés seulement par les spectateurs qui déboursent 3 $ d’admission (les enfants étant admis gratuitement). Même les juges sont bénévoles. Les fonds recueillis aident à couvrir les frais d’exploitation de la piste, qui possède sa propre barrière, un clubhouse et des écuries.

« Nous courons pour le plaisir et notre droit de se vanter, » dit Chiasson en souriant. « Cela ressemble à une foire agricole. »

Le centre compte environ 125 membres et a un budget d’opération annuel de 50 000 $. Une foire est présentée durant l’été constituant l’une de ses principales sources de financement.

Chiasson est président depuis 2007, quand il a succédé au regretté Rosaire Renaud, blessé gravement par la machinerie qu’il utilisait pour forer les trous qui recevraient les piquets de clôture à la piste. « J’aime les courses depuis mon enfance, mais je n’avais jamais été vraiment aussi impliqué que maintenant, outre le fait d’assister aux courses, » admet-il. « Mais il régnait beaucoup d’incertitude au Centre après le décès de Rosaire, et j’ai décidé de m’impliquer parce que j’avais le sentiment que c’était quelque chose qu’il valait la peine de préserver. »

L’histoire des courses de chevaux dans les Îles-de-la-Madeleine, dont la population se chiffre dans les 13 000 habitants, remonte à plusieurs décennies avant l’arrivée du Centre Alfred-Gallant. Presque tous les villages du Québec ont compté à un certain moment dans leur histoire, une quelconque forme de course de chevaux, et les équidés étaient prédominants pour leur évolution et l’héritage agricole des Îles. La population acadienne par exemple, labourait la terre avec des chevaux.

La personne à qui revient le crédit d’avoir érigé la structure de l’activité est le coloré prêtre-curé Alfred Gallant, décédé plus tôt cette année à l’âge de 98 ans. Nommé dans une des paroisses des Îles-de-la-Madeleine par l’Église en 1937, cet homme originaire de Gaspé a embrassé et énergisé sa nouvelle communauté, lui procurant beaucoup plus qu’un guide spirituel. Une force motrice et grand motivateur, Gallant joua un rôle des plus actif dans l’établissement et le développement d’un mouvement coopératif local. Il fut durant toute sa vie, un grand amateur de course de chevaux; il a possédé et fait courser ses propres chevaux bien après ses 70 ans, et a fait de la promotion active du sport.

« ‘Les dimanches sont destinés aux courses’, disait-il souvent, » de se souvenir Chiasson en souriant.

À l’origine, les courses consistaient en des épreuves d’un quart de mille disputées sur la plage ou sur la glace, selon les saisons. Mais en 1967, un hippodrome a été construit dans le village de Havre-aux-Maisons à l’instigation de Gallant. C’est maintenant devenu un centre d’entraînement permanent pour les yearlings, dont plusieurs sont destinés aux hippodromes des Maritimes. Le climat est propice à l’entraînement hivernal, les températures se maintenant aux environs du zéro degré Celsius.

Même avant l’effondrement de l’industrie des courses ­québécoise, les hommes de chevaux des Îles-de-la-Madeleine avaient un lien plus fort avec les Maritimes qu’avec le Québec. Géographiquement, il leur était plus facile d’acheter des chevaux et de compétitionner sur les hippodromes des provinces de l’Atlantique plutôt que dans leur propre province. « Environ 90 % de nos standardbred sont d’élevage des Maritimes, » dit Chiasson. « Il n’y a que quelques spécimen qui viennent du Québec. »

Plusieurs des chevaux les plus accomplis des Îles-de-la-Madeleine, proviennent d’une même écurie, celle du pêcheur de crabe et propriétaire de l’usine de transformation, Claude Poirier.

Poirier, qui est âgé de 51 ans, a gagné plusieurs courses ‘stake’ du circuit Atlantic Sires Stakes et son ambleuse poulinière, Southview Sally, comptant 120 000 $ de gains à ce jour, a été couronnée Championne des Éleveurs des Maritimes à deux ans et trois ans; elle a aussi nommée Cheval de l’année et meilleure gagnante d’argent en 2007.

Ses chevaux détiennent les records de piste tant à Havre-aux-Maisons (1 :58.3, Dover Harp) qu’au Centre Alfred-Gallant (1 :58.4, Somewhere Special), ainsi que dans plusieurs autres pistes des Maritimes.

Poirier qui mène souvent ses propres chevaux, a été harponné par le sport à un très jeune âge – quelque part autour de ses cinq ans. Son oncle Alcide possédait des chevaux de course et c’est alors qu’il a commencé à les jogger pour lui au centre local d’entraînement, ce, très jeune. « Durant l’été, les gens pêchaient, mais c’était tranquille ici durant l’hiver, » dit Poirier avec un haussement d’épaule. « Notre insularité nous a amenés à nous développer des activités de divertissement tel l’entraînement et les courses de chevaux, et plus particulièrement parce que c’était accueilli favorablement par l’Église. »

L’entraîneur se souvient avoir aidé le Curé Gallant à préparer ses chevaux à ses tout débuts. Au milieu des années ‘80, il a commencé à acheter ses propres chevaux, la plupart des chevaux réclamés. Poirier figure en avoir eu quelques centaines depuis, pratiquement tous acquis pour moins de 10 000 $, l’objectif de prix le plus élevé qu’il s’était fixé.

Son premier bon cheval a été un descendant de Vanishing Point, d’élevage québécois, du nom de Chappie Angus, qui a gagné le Papermaker Pace au Charlottetown Driving Park en 1993. « Je l’ai acheté privément pour 1 200 $ à deux ans, avant même qu’il n’ait gagné une course, » de dire Poirier. À quatre ans, Chappie Angus a gagné quatre courses en 10 jours à Charlottetown.

La passion de Poirier pour les courses est synonyme de beaucoup de voyages et de perturbation sur le plan personnel, mais il est prêt à en payer le prix. Cela signifie un trajet de cinq heures par traversier pour arriver à l’Île-du-Prince-Édouard, puis une heure de route pour se rendre au Charlottetown Driving Park, où la plupart de ses chevaux courent. Pour que le voyage en vaille la peine, particulièrement en hiver alors que le service de traversier ne fonctionne pas tous les jours et que les conditions de voyage peuvent s’avérer incertaines, Poirier effectuera des séjours de deux semaines durant lesquelles ses chevaux participeront à plusieurs courses.

Il en a présentement sept à l’entraînement, parmi eux le trois ans Fit For Life, un poulain issu de Ringmaster, finaliste dans cinq courses ‘stake’ du circuit Atlantic Sires Stakes en 2009, Oceanview Kitty, qui a inscrit une marque de 1 :57.1 sur le tracé d’un demi-mille au Summerside Raceway à deux ans, et Southview Sally, qui se prépare présentement pour son retour à l’âge de six ans, après avoir perdu son premier rejeton, issu de Jeremes Jet, peu après lui avoir donné naissance en mars dernier. « Rien ne me relaxe autant que les chevaux. » dit Poirier. « Je suis à l’écurie à 5 h 30 tous les matins. Mes enfants m’aident aussi. C’est une activité familiale. »

Son objectif?

Il sourit. « Continuer à le faire et cela, le plus longtemps ­possible. »

By Paul Delean

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