Quelle année!

À peine quelques années après l’effondrement total de l’industrie des courses de chevaux au Québec, voilà l’improbable histoire de la façon dont les chevaux, les hommes

de chevaux et les bâtisseurs de la province se sont révélés les étoiles de la saison de course 2012.

Par Paul Delean / Traduction Louise Rioux

Si vous deviez résumer en chansons, l’extraordinaire année qu’a connue la fraternité de course du Québec en 2012, voici quelques titres auxquels vous pourriez penser.

Against All Odds. I will survive. What Doesn’t Kill You Makes You Stronger.

Trois ans après le plafonnage de l’industrie des courses de chevaux, les hommes de chevaux se sont retrouvés laissés à eux-mêmes et durent se débrouiller pour effectuer un brillant retour sur la scène nationale.

Deux entraîneurs originaires du Québec, Richard Moreau et René Allard, sont loin devant le peloton en ce qui concerne les courses gagnées au Canada, et Allard, qui fait aussi campagne dans une division américaine, se classe deuxième en Amérique du Nord. Un conducteur né au Québec, Sylvain Filion, a dominé les rangs de l’Ontario Sires Stakes et livré une dure bataille pour le titre de meilleur conducteur du Woodbine Entertainment Group (WEG). Un propriétaire du Québec et résident de Westmount, Serge Godin, est le numéro un en matière de gains totaux sur le circuit WEG pour les standardbred en 2012.

Godin a gagné une finale de la Breeders’ Crown à Woodbine avec son trotteur de 2 ans, Wheeling N Dealin de même qu’une superfinale de l’Ontario Sires Stakes Superfinal (pour une deuxième année consécutive) avec son trotteur de 3 ans, Prestidigitator, les deux étant entraînés pour lui par l’ancien Québécois Dustin Jones. Wheeling N Dealin a également gagné la finale William Wellwood ainsi qu’une division du Champlain Stakes, gagnant 9 courses en 9 pour une saison parfaite, ce qui lui vaudra probablement un prix O’Brien.

Il n’était pas le seul champion de la Breeders’ Crown à représenter le Québec. Dans l’une des histoires les plus convaincantes de 2012, le méconnu Intimidate a, à deux reprises, renversé les rôles sur le gagnant de l’Hambletonian, Market Share, et a arraché la finale pour les trotteurs de 3 ans et chevaux hongres pour le compte de deux propriétaires résidents de deux petites villes du Québec, Judy Farrow d’Hemmingford et l’entraîneur Luc Blais de Lochaber Ouest. Intimidate, qu’ils ont élevé, est devenu le deuxième cheval d’élevage québécois seulement à gagner une course de la Breeders’ Crown, le premier étant l’ambleuse Shore By Five en 1999.

Un autre cheval d’élevage et de propriété québécoise, Rebeka Bayama, n’a pu répondre à sa tentative d’arracher un titre de la Breeders’ Crown, mais s’est démarquée comme l’une des ambleuses les plus rapides de l’histoire. La jument de 5 ans, Leader Bayama a égalé un record de piste à Woodbine dans un mille couru en 1:48.4 et fut tout juste battue par Put On A Show pour une marque record mondiale de l:47.3 lors de l’amble Lady Liberty à Meadowlands. Elle a gagné près de 400 000 $ l’an dernier en dépit d’une longue séquence de tirages défavorables des positions de départ : une neuvième place pour la course de 391 000 $ Roses Are Red, à Mohawk, une huitième pour la course Golden Girls d’une valeur de 218 850 $ à Meadowlands, une huitième pour la course Invitation de 100 000 $ pour les pouliches et juments à Mohawk, une dixième pour la finale Milton à être disputée pour 384 000 $ à Mohawk et une neuvième lors de la finale de la Breeders’ Crown pour 326 660 $ à Woodbine

Propriété d’Yves Filion de la Ferme Bayama de Lachute, Québec, Rebeka Bayama était généralement menée par son fils Sylvain, qui a connu une saison remarquable avec des gains de 8 M $, un sommet en carrière, et environ 400 victoires, presque toutes obtenues en Ontario.

Filion, âgé de 43 ans, était le conducteur attitré des chevaux de Godin et il a savouré une longue et fructueuse association avec Moreau, qui compte 300 victoires et 3 M $ de gains en 2012.

« Richard est un grand homme de chevaux… et un bourreau de travail, » dit Filion. « Il connaît ses chevaux et il a l’habileté de maintenir eur constance durant toute l’année. Quand il inscrit son cheval, il a un plan. Il les place en bonne position. »

Filion s’est dit aucunement surpris de voir autant de Québécois gagner gros en 2012.

« Il y a toujours eu des Québécois réussissant bien dans ce sport. Michel Lachance, Daniel Dubé, Luc Ouellette… La province a produit un grand nombre de bons hommes de chevaux au cours des ans. »

Marc Camirand, qui dirige l’Association des hommes de chevaux du Québec, dit que ce qui est inhabituel, est le fait que tant de conducteurs se soient distingués au cours de la même année.

« C’est une coïncidence mais non la chance. Écurie Synergie, l’écurie de Godin), a beaucoup investi dans les yearlings depuis plusieurs années et elle a adopté une approche d’équipe pour assurer leur développement, et elle est maintenant récompensée. Dustin Jones est un entraîneur sérieux. Yves Filion est un entraîneur de calibre international et l’une des meilleures têtes en matière d’élevage que je connaisse, ayant toujours acheté des pouliches de qualité des États-Unis pour l’accouplement. Sylvain a pris son temps pour se gagner la confiance afin de devenir un leader en Ontario, mais avec l’aide de gens comme Richard Moreau, il l’a aujourd’hui. Il est au sommet de son art. L’histoire d’Intimidate est intéressante; je connais le duo Farrow et Blais et ce sont des gens sérieux et dédiés pour qui j’ai le plus profond respect. Madame Farrow a produit de bons chevaux avant Intimidate; Luc a très bien réussi mais avec peu de matériel. Qu’ils aient gagné une Breeders’ Crown avec un cheval Justice Hall peut surprendre les gens, mais nous avons élevé de bons chevaux au Québec. N’oubliez pas que Garland Lobell a commencé ici sa carrière d’étalon. »

Farrow mentionne que malgré les problèmes qui ont pratiquement tué l’industrie au Québec, ne la laissant que l’ombre d’elle-même, il y a encore un niveau surprenant d’optimisme chez les propriétaires de chevaux de la province.

« J’ai vendu un cheval à quelqu’un de Gaspé qui devait voyager par traversier pour se rendre aux hippodromes où il courait. Il lui fallait des heures pour s’y rendre, pour le sport. Même quand l’industrie des courses a atteint les bas-fonds ici, bien des gens ont gardé leurs chevaux. Il y eut une course lors de la foire agricole de Ormstown au Québec, l’été dernier, pour la première fois depuis dix ans, et 6 000 personnes y ont assisté. Il y avait trois guichets pour les paris alors qu’il en aurait fallu dix.Toute la communauté était là. C’est une vraie passion. Ça l’a toujours été. Il y a des générations d’hommes de chevaux ici, de bons horsemen, qui l’ont transmise. Ce talent est mobile, et beaucoup de ce talent est parti en Ontario quand les choses sont devenues difficiles. Et plus difficile encore ce fut pour les propriétaires d’étalons et de grosses fermes; ces derniers ne pouvaient tout simplement pas plier bagage et partir. »

Jones est l’un de ceux s’étant relocalisés en Ontario, laissant derrière sa ferme invendue à Melbourne, Québec. Et comme d’autres avant lui, y compris Rick Zeron et Benoît Baillargeon, il a trimé dur au début dans sa tentative d’adapter son écurie pour courir dans un calibre différent.

« Quand j’ai déménagé en 2008, je n’avais que de l’élevage québécois. C’est ce vers quoi nous avions focalisé nos achats. Le seul qui pouvait convenir ici était Rudy Valentino. Dans les temps anciens, nous n’amenions que les meilleurs, et habituellement à la fin de l’année, après les courses sires. N’ayant pas de chevaux réclamés dans mon écurie, il nous a donc fallu plusieurs années pour se regrouper avec les élevages U.S.A. et Ontario. En 2009, nous avons acheté Martiniontherocks, gagnante de la finale de la Breeders’ Crown pour trotteuses de deux ans l’année suivante. Puis Prestidigitator, gagnant des Superfinales 2011 et 2012 de l’Ontario Sires Stakes, et Wheeling N Dealin.

« Je ne pense pas que ce que nous avons accompli surprenne les gens contre lesquels nous avons déjà couru. Ce n’est pas comme si nous sortions de nulle part. Nous avons eu un cheval (Uhadadream) dans l’Hambletonian en 2000. Emilie Cas El s’est mérité le titre de Cheval de l’année au Canada en 1994. Je ne fus aucunement surpris de voir Luc Blais se présenter avec un bon cheval, pas plus que je ne le serais de voir Murray Brethour ou Ben Wallace arriver; il a entraîné Ring of Life , le gagnant de la Confederation Cup, ainsi que Goliath Bayama. Entre nous, nous savons qui sont les bons entraîneurs. »

Jones, dont l’écurie a collecté 1,5 M $ en 2012, se dit chanceux d’avoir un propriétaire tel que Godin, qui est prêt à dépenser de grosses sommes sur les yearlings (près d’un million de dollars cette année pour onze têtes).

« Des gens comme lui, et l’homme d’affaires québécois, Richard Berthiaume, sont de gros joueurs. Ils aiment l’industrie. Ils sont restés quand d’autres sont partis. Je n’en connais pas beaucoup d’autres qui dépensent autant que ces deux-là chaque année. »

Ce qui rend ces investissements répétés de la part de Godin et Berthiaume encore plus inhabituels, c’est qu’ils se rendent rarement voir courir leurs chevaux. Les seules courses que Berthiaume a vues en 2012, sont celles auxquelles deux de ses chevaux ont participé à l’Hippodrome 3R, lors du programme d’ouverture en septembre.

Mais son écurie composée de 16 chevaux entraînés en Ontario par Benoît Baillargeon, a connu une autre excellente année, avec en tête le trotteur de deux ans d’élevage ontarien, Murmur Hanover, troisième lors de la Breeders’ Crown et gagnant de 414 457 $, et la dure à battre de 7 ans, l’ambleuse Voelz Hanover, qui a augmenté le total de ses gains en carrière à 1,3 M $ avec 192 790 $ pour sa saison.

« Que puis-je dire? C’est ma passion. Je ne pratique pas le golf. J’aime les courses. C’est dispendieux mais j’aime cela. C’est seulement dommage que je n’aie pas le loisir de les voir en direct, » dit Berthiaume.

C’est un propriétaire qui insiste sur des communications rapides et honnêtes, et c’est ce qui explique sa longue association avec Claude et Normand Bardier, qui l’aident à choisir et à développer les yearlings pour lui, ainsi que l’entraîneur Baillargeon.

« Je ne veux pas seulement n’être qu’un numéro pour une grosse écurie des U.S.A. Je veux savoir comment vont mes chevaux, mêmes les plus ordinaires, et c’est de mes gens que j’obtiens cette information. Pour moi, il est simplement plus facile de communiquer avec un autre Québécois. »

La façon dont les Québécois veillent et s’entraident mutuellement, est un trait de caractère qui a toujours frappé le propriétaire montréalais, Rick Karper, et ce fut déterminant quand vint le temps de leur donner un coup de pouce pour une transition réussie vers les marchés à l’extérieur de leur province.

Par exemple, Yannick Gingras, natif de Sorel, a été amené sur le marché des États-Unis par Daniel Dubé, qui l’a littéralement pris sous son aile. Maintenant installé aux États-Unis, Gingras a obtenu trois victoires lors de la soirée de la Breeders’ Crown, terminant 2012 au deuxième rang comme meilleur conducteur aux États-Unis pour le total des bourses, derrière Tim Tetrick, avec plus de 13 M $ collectés.

« Les hommes de chevaux francophones se tiennent ensemble et s’entraident mutuellement, » dit Karper. « S’ils envoient un cheval à un hippodrome de l’extérieur, ils veulent que ce soit avec quelqu’un avec qui ils se sentent en confiance. Il y a aussi beaucoup de partenariats familiaux à succès. Il y a les Baillargeon, Benoît et Mario, et les Allard, René et Simon. Sylvain Filion et Richard Moreau quant à eux, remontent loin dans le temps. Et ces gars travaillent. Ils coursent partout. »

Yves Filion dit qu’avec si peu de courses et de bourses restant au Québec, ses meilleurs hommes de chevaux n’ont eu d’autre choix que d’aller ailleurs ou changer leur approche, comme il l’a fait.

Il n’offre plus de services d’accouplements à sa ferme de Québec, et il a réduit son groupe de juments poulinières des deux tiers, en mettant l’accent maintenant sur les élevages ontariens. Il a fait campagne avec quelques deux ans, Utica Bayama et Urbana Bayama, sur la série OSS Grass Roots en 2012, et la récolte de cette année comprend un demi-frère de Rebeka Bayama par Mach Three.

« La pire partie concerne le camionnage, » dit-il. « Il vous faut voyager partout pour participer au Grass Roots et les courses Gold. Cela prend beaucoup de temps. Voilà quelque chose que je n’ai pas eu beaucoup à faire ici. »

Avoir un cheval tel Rebeka Bayama dans la remorque compense pour les inconvénients, et Filion planifie la faire courir encore cette année.

Tony Infilise, président du Jockey Club Québec, aimerait bien la voir ainsi que d’autres chevaux et hommes de chevaux québécois exceller encore en 2013. Leurs succès en 2012 ont contribué à relever le profil d’un sport qui en est encore à ses balbutiements dans son redressement par le JCQ après l’effondrement de l’opérateur précédent, Attractions Hippiques en 2009.

« Cela témoigne clairement de la profondeur des racines de l’industrie ici et de la compétence et des connaissances des gens impliqués, » a-t-il dit.

Le programme inaugural du Jockey Club à l’Hippodrome 3R l’automne dernier, a attiré de grandes foules enthousiastes, y compris un nombre surprenant de jeunes visages, dit-il. Et la réponse sur les courses aux terrains d’expositions du Circuit régional Québec a été telle, que le JCQ augmentera le budget ainsi que le nombre de programmes de 10 en 2012.

« Il y a une vague de fond d’intérêt et d’appui au sport, » de dire Infilise. « Les gens sont encore passionnés, même après tout ce qui s’est passé au cours des dernières années. Cette industrie n’aurait jamais dû s’éteindre. Il n’y a aucune bonne raison à cela. Le niveau d’intérêt et l’ensemble des compétences sont toujours là. Nous en avons à la tonne. C’est quelque chose d’important, qu’il vaut la peine de conserver. L’achat de l’Hippodrome 3R n’est pas la raison pour laquelle Serge Godin a gagné la Breeders’ Crown, mais les causes profondes des deux sont les mêmes : passion énorme, engagement et appui à cette industrie. »

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