Une affaire de famille, à la fois équine et humaine

En 2010, derrière une solide saison de la jument ambleuse âgée d’élevage maison, Arts Diva, l'écurie de Ken Sucee a connu sa meilleure année de tous les temps - avant 2023 - lorsque ses coursiers ont gagné 305 683 $ au total. En 2023, One Last Wish, protégée de Sucee et dernier rejeton d'Arts Diva, a gagné à elle seule 410 066 $. Le chemin a été long depuis les débuts d'Arts Diva jusqu'à aujourd'hui, rempli de nombreuses tragédies en cours de route, mais One Last Wish est définitivement à la hauteur de son nom pour la même combinaison propriétaire-entraîneur-conducteur qui a fait campagne pour sa mère, et de toute évidence, elle n’a pas encore fini. Par Melissa Keith / Traduction Manon Gravel

Une affaire de famille, à la fois équine et humaineTout a commencé avec une jument.

Trois générations plus tard, One Last Wish, finaliste du prix O’Brien, est l’aboutissement des rêves qui partent de cette jument « fondatrice » - Leggins.

La championne ontarienne de trois ans en 2023, One Last Wish (p,3,1:50,1s; 447 802 $), appartient aux frères Brian Legge de Toronto et au Dr David Legge d’Ajax, et elle a permis de réaliser leurs rêves de toute une vie au cours de la saison 2023, lorsqu’elle a remporté trois divisions des Ontario Sires Stakes Gold et la Super Finale OSS du 14 octobre à Woodbine Mohawk Park pour l’entraîneur Ken Sucee et son conducteur régulier Paul MacDonell.

Avec la famille équine mentionnée ci-haut, son histoire est également celle de familles humaines, éprouvées par des tragédies au fil du temps et unies par les descendants de Leggins. Ken Sucee a entraîné la mère de One Last Wish, Arts Diva (p, 1: 49,3 s; 691 175 $), qui appartient toujours à Brian et David Legge. La jument de 19 ans est bien vivante et vit sa retraite à la Kendal Hills Stud Farm, à Campbellcroft, en Ontario, le même endroit où elle est née.

« Arts Diva a été élevée par Mme [Annelies] Horn et David Legge », a déclaré Sucee. « Ce qui s’est passé, c’est que Caliterra [p,3,1:54.2f ; 55 242 $], la mère d’Arts Diva, était la fille de la jument fondatrice de Legge, Leggins. Brian n’aimait pas Caliterra comme poulinière apparemment, et j’avais proposé de l’acheter, mais David l’a gardée, et je crois que mon défunt frère [l’expert en pedigree et contributeur de TROT Ralph Sucee] en a acheté une part, tout comme Mme Horn de Kendal Hills Stud Farm.  Annelies était avec David [Legge] comme éleveur. Ralph voulait vraiment qu’ils l’accouplent avec Art Major, et ils l’ont fait, mais je pense qu’avant qu’elle ne soit enregistrée comme bébé, mon frère a « débarqué » comme propriétaire. »

Arts Diva a été consignée à l’encan de yearlings d’Harrisburg en 2006, mais le premier rejeton de Caliterra, issu de la première mouture d’Art Major, n’a pas attiré suffisamment d’enchères. « David Legge m’a demandé de descendre à Harrisburg et de la ‘protéger’ jusqu’à 18 000 ou 20 000 dollars », a déclaré Sucee. « Finalement, je l’ai rachetée pour 20 000 $… J’aurais été heureux de la garder à ce prix-là s’ils ne voulaient pas d’elle, mais ils l’ont voulu… Je n’ai jamais été son propriétaire.  Je viens de la racheter. J’avais déjà quelques chevaux chez les Legge et je l’ai entraînée tout au long de sa carrière pour eux. »

Arts Diva a commencé à récompenser ses fidèles à la fin de sa saison de deux ans. « Elle n’a jamais manqué une occasion », a déclaré Sucee. « On ne sait jamais à quelle vitesse ils vont aller, mais j’ai dit : ‘Celle-ci est spéciale.’ »

Pouliche de juin, elle a connu un début de carrière relativement tardif, mais il s’est avérée qu’elle apprenait rapidement. Elle a obtenu sa première victoire lors de son deuxième départ à vie, brisant ainsi son « maiden » en 1:55,4, à Kawartha Downs pour le conducteur Kurt Hughes. Sa prochaine victoire n’aura lieu que le 19 octobre à l’hippodrome de Woodbine, mais ce sera lors de l’éliminatoire dans le « Three Diamonds », l’emportant, pour le conducteur Paul MacDonell en 1:53,1.  Une semaine plus tard, elle a terminé deuxième derrière A And Gs Confusion dans la lucrative finale de 660 200 $.

« Elle avait juste les bonnes manières, la démarche. C’était tellement facile de s’entendre avec elle », a déclaré son ancien entraîneur. « On ne pourrait pas rêver d’un cheval plus parfait. Elle n’a jamais rien fait de mal. Elle n’a jamais porté de baguette de tête de sa vie… Elle était toujours droite. Juste une super démarche : elle a remporté une victoire à Flamboro en :52 et des poussières, tout juste au-dessus du record de piste à l’époque. Elle pourrait courser n’importe où. »

Le début de carrière d’Arts Diva a été interrompu lorsque deux malédictions ont frappé la famille Sucee.

« Je n’étais pas aux alentours lorsque son année de deux ans progressait », a déclaré Ken. « Le soir de la finale de la « Shes a Great Lady » à Mohawk [le 1er septembre 2007] à laquelle elle participait, mon frère Ralph et mon autre frère s’en venaient tous les deux sur la piste, mais Ralph a eu un horrible et grave accident de voiture sur l’autoroute 401… Eh bien, quatre ou cinq jours plus tard, j’ai eu une crise pancréatique ; J’ai dû être hospitalisé… J’ai donc raté la plupart de ses présences sur le Grand Circuit [cette année-là]. »

C’est en fait Paul MacDonell qui s’est assuré que Arts Diva, âgée de deux ans, se rende à son dernier départ de cette première année de courses - les Trillium Stakes de 91 096 $, le 4 novembre à Windsor Raceway. Le père de Paul, Blaise MacDonell, était surintendant chez General Motors à Oshawa, où le père de Ken, Ronald Sucee, a également travaillé pendant des décennies.

« Je connais Paul depuis de nombreuses années et Paul a pris le relais », a déclaré Sucee. « Il l’a conduite jusqu’à Windsor ce soir de novembre et a apporté son sulky. Je lui ai dit de « trouver un palefrenier », et il ne l’a pas fait. Ce jeune homme a emmené le cheval jusqu’à Windsor et l’a ramené à son box à quatre heures du matin. »

Ce n’est pas une mince affaire, étant donné que MacDonell a également conduit Arts Diva à une victoire en 1:53,4 ce soir-là et qu’elle a été hébergée dans l’ancien centre d’entraînement de Sucee à Bowmanville, en Ontario. Bien que Sucee ait finalement pu quitter l’hôpital à temps pour la remise des Prix Trillium, il a déclaré qu’il avait également de la chance d’avoir un nouveau venu talentueux - Kurt Hughes - qui entraînait ses chevaux pendant sa convalescence.

« J’ai embauché [Hughes] lorsqu’il est venu me voir en avril [2007]... lui et [sa femme] Colleen – elle est vétérinaire. Au début, je disais : « Je n’ai vraiment besoin de personne », mais c’était juste sa manière d’être », raconte Sucee. « Ils venaient tout juste d’arriver de la côte Est. [Colleen] allait en fait trouver un emploi chez McKee-Pownall [Equine Services]... J’ai montré à Kurt différents trucs d’entraînement que j’avais appris au fil des ans, et il était en fait mon protégé. »

Arts Diva avait remporté une qualification à l’âge de deux ans, en juillet 2007 à Kawartha Downs, avec Hughes dans le sulky, et n’avait jamais manqué le tableau avec lui aux guides lors de ses quatre premiers départs au pari mutuel. Sucee a attribué à Hughes le mérite d’avoir fait de la pouliche la star qu’elle est devenue : « Il est vraiment responsable. Il a suivi mes instructions, aussi pointilleux que j’étais, et certainement que Paul MacDonell a également joué un rôle très important dans tout cela. »

Mais le travail de Hughes avec la talentueuse pouliche n’a pas duré au-delà de ses trois ans, car la tragédie a encore frappé. Sucee se souvient de la façon dont la carrière prometteuse de Kurt Hughes en tant qu’entraîneur/conducteur s’est arrêtée brusquement le 1er novembre 2008.

« Ce soir-là à Kawartha Downs, [Kurt] avait gagné avec un de mes chevaux… Je me souviens avoir cherché ses parents dans la tribune pour leur donner une photo, car ils rentraient chez eux [à l’Île-du-Prince-Édouard] le lendemain. »

Cependant, en rentrant chez lui depuis l’hippodrome ce soir-là, la voiture de Kurt a quitté la route, entraînant de graves blessures permanentes.

« J’étais sous le choc quand je suis arrivé à l’écurie le lendemain. C’était un dimanche, et ils [les parents de Kurt] ont dit : « Avez-vous entendu la nouvelle? » J’étais tout simplement dévasté. Nous sommes donc allés directement au Toronto [Weston Hospital]… Évidemment, nous n’avons pas pu le voir à ce moment-là. Deux jours plus tard, je me souviens que son père nous a appelé et nous a dit : « Ils travaillent sur lui, essayant de le faire respirer par lui-même. » Il a fini par s’en sortir. Il est paraplégique, mais l’essentiel est que son esprit est intact. Son cœur et son âme sont tout simplement incroyables. »

Arts Diva, bien sûr, a couru pour Sucee et MacDonell - et quelques autres catch-drivers - et a gagné un peu moins de 200 000 $ à l’âge de quatre et cinq ans. Elle a enregistré des statistiques en carrière de 81-14-22-10, tout en coursant au plus haut niveau et en affrontant certaines des plus grandes juments rythmiques de l’ère moderne, notamment Dreamfair Eternal, My Little Dragon, Darlins Delight et Southwind Tempo.

Sa retraite est survenue en avril 2011, lorsqu’un vieux problème a finalement refait surface. Sucee a déclaré que le vétérinaire Dr Terry Ruch l’avait prévenu qu’Arts Diva « avait un mauvais sésamoïde, à l’arrière droit » lorsqu’elle avait deux ans. « Il m’a dit : ‘Tu pourrais passer à travers sa [saison] de deux ans, mais ça va être son talon d’Achille. Quand cette jument aura fini, ce sera à cause de ça.’ »

À l’âge de six ans, Arts Diva s’est cassé le sésamoïde et a immédiatement été retirée pour de bon. Elle a été envoyée à Hanover Shoe Farms et accouplée à Well Said, ce qui a donné naissance à Eloquent Diva qui ne coursera finalement pas.

Les accouplements ultérieurs ont montré qu’Arts Diva était une jument poulinière aussi forte qu’elle a été comme jument de course. Elle a produit Shes Lights Out (p,1:51,1s ; 203 585 $) et Maroma Beach (p,1:50f ; 384 951 $), tous deux par Somebeachsomewhere, avant le malheureux fils de Western Ideal, Phil The Thrill (p,3,1 : 50,2 s ; 109 210 $).

« C’était un beau, grand et beau cheval, et il est décédé le 16 mars [2020]... directement à Mohawk », a déclaré Sucee. « Mon père est décédé le 13 mars et [Phil The Thrill] coursait le 16 mars… J’ai pensé que ça me ferait du bien de sortir et d’aller en courser un. David Legge était là pour me soutenir, faisant courser son cheval après la mort de mon père. Au lieu de cela, Phil The Thrill a dû interrompre sa course à cause d’une patte cassée. « J’étais inconsolable », se souvient Sucee. « C’était un cheval vraiment sympa, un gentleman calme. »

Le cinquième et avant-dernier poulain vivant d’Arts Diva était Touchem All Joe (p, 1: 54,2 s; 39 918 $), par Roll With Joe, mais elle a définitivement gardé le meilleur pour la fin. Après un rendez-vous avec le roi des étalons ambleurs, Bettors Delight, Arts Diva a donné naissance à One Last Wish. « C’est de là que vient son nom », raconte Ken. « Nous savions que ce serait son dernier rejeton avant de prendre sa retraite, donc le nom avait du sens », dit-il en riant.

Ce « dernier souhait » s’est définitivement réalisé pour son entourage, et Sucee considère cette intelligente pouliche comme la copie conforme de sa mère - sauf peut-être sur un point. Mais plus là-dessus plus tard.

« En termes de conformation, [Arts Diva] était bien, mais en ce qui concerne les manières, elle était le cheval le plus parfait. Je l’ai domptée moi-même, en une journée », se souvient l’entraineur de Bowmanville, en Ontario. « Et One Last Wish n’était pas différent. C’est sa mère qui le lui a transmis. Les autres poulains, entre eux, allaient bien, mais certainement pas comme One Last Wish. »

La nomination aux O’Brien 2023 est le résultat d’un croisement en or identifié des années plus tôt par le défunt frère de Ken, Ralph : Most Happy Fella avec Abercrombie.

« À l’époque, cela nous donnait d’excellents [chevaux] », a déclaré Ken, ajoutant que Caliterra, la mère d’Arts Diva, avait été accouplée à Art Major sur la base exacte de cette formule.

« Ronnie Waples a eu Armbro Dallas [$1 401 201], par Abercrombie issu d’une jument par Most Happy Fella. C’était un excellent croisement, alors il suffit de le pousser quelques générations plus loin et vous obtenez Arts Diva en élevant le petit-fils d’Abercrombie [Art Major] et la fille [Caliterra] d’un petit-fils de Most Happy Fella nommé Camluck. Donc vraiment, c’était une évidence. »

Ralph Sucee serait fier que la formule soit à nouveau devenue dorée pour son frère des années plus tard, avec One Last Wish, plusieurs fois lauréat de l’OSS Gold.

« Nous avons croisé Arts Diva avec Bettors Delight, qui est Cams Card Shark/Cam Fella/Most Happy Fella, revenant à nouveau dans la lignée Abercrombie avec Arts Diva. Nous avons mis pas mal d’Abercrombie là-dedans et de Cam Fella, et ça a encore fonctionné. »

« One Last Wish a couru plusieurs fois sans entraves à l’âge de deux ans ; et elle a gagné l’année dernière, « free leg », en 1:50,1. Un petit animal assez doué et naturel », rayonne Ken.

Gagnante de l’OSS Grassroots et aussi gagnante, sans entraves, à Mohawk en 1: 52,3 à l’âge de deux ans, One Last Wish n’a remis des entraves qu’à l’âge de trois ans après une rare pause lors de son neuvième départ de l’année. « Rien n’allait chez elle. Elle avait juste un peu mal aux tendons », a déclaré Sucee. « C’est une pouliche musclée, alors je la frotte simplement avec de l’huile d’olive. »

Sans aucune raison de la garder « Free leg », il a ajouté des entraves pour le reste de ses départs. (« Vous ne recevez pas plus d’argent si vous les enlevez », dit-il en plaisantant.)

Aujourd’hui âgé de quatre ans, One Last Wish est de retour chez lui après avoir passé du temps à Peninsula Farms à Georgetown, Kentucky. Son désintérêt de toujours pour l’entraînement reste intact, tout comme son esprit de compétition : elle a récemment pourchassé deux pouliches au trot autour d’un enclos, en ruant l’une d’entre-elles dans le ventre.

« C’est ce qui fait d’elle ce qu’elle est », a expliqué Sucee. « Quand elle est seule, c’est elle la patronne. Je crois que les chevaux dégagent une sorte de personnalité.  Je pensais qu’elle se ferait dépasser par au moins quatre chevaux lors de la finale [OSS Super]. Honnêtement, de la façon dont ils « ferment » toujours dans le dernier droit [à Mohawk]. Mais, de la façon dont elle a fait ce dernier seizième [de mile], c’est comme si mon frère Rob avait volé dans ses poumons. » (Le frère de Ken, Robert Sucee, est décédé subitement le 24 décembre 2022).

« Je suis sérieux : je pensais qu’elle était battue. Les Legge pensaient qu’elle était battue… Et puis elle est revenue de l’arrière. »

Cela nous amène à la façon dont Sucee peut imaginer les différences entre la mère et la fille : « Vous savez, Arts Diva n’a jamais gagné une course faite « dans le 2e trou » de sa vie », dit-il en riant. « Elle arrivait toujours deuxième. Non seulement cette jument a remporté la Super Finale [OSS] en restant dans le 2e trou, mais elle n’est jamais arrivée deuxième de sa vie ! Arts Diva est arrivée deuxième environ vingt-deux fois », s’exclame-t-il.

One Last Wish se qualifiera probablement à deux reprises à la fin du mois de mars, en préparation pour la Série « Canadian Graduate » à Woodbine Mohawk Park, et son entraîneur pense même peut-être affronter les mâles dans le « Juravinski Memorial ». Son prochain combat aura toutefois lieu le 3 février à Charlottetown, lorsqu’elle affrontera Sylvia Hanover, lauréate du prix Dan Patch, dans la catégorie « Pouliche de trois ans de l’année » aux O’Brien Awards.

Bien que Sucee ne puisse pas assister au banquet en personne, il a déclaré qu’il encouragerait à la fois la pouliche de Legge et un certain finaliste du prix O’Brien pour « Horsemanship »; le local de l’Ile du Prince Edward, l’entraîneur/conducteur Jason Hughes - le frère de Kurt Hughes. Kurt est maintenant analyste de courses chez à la piste Red Shores Charlottetown.

« Jason travaille très, très dur », a déclaré Sucee. « Je ne sais pas comment ils font là-bas. Ils adorent leurs chevaux… C’était aussi agréable de voir [Kurt] rentrer chez lui et s’y établir. »

Pendant ce temps, One Last Wish n’a pas encore fini de tenir la promesse de son pedigree et de la foi (et des souhaits) de ses propriétaires. « Paul [MacDonell] a dit que nous n’étions jamais allés jusqu’au bout d’elle. Lorsqu’elle a remporté la Super Finale, elle n’a même pas explosé. Cette pouliche, il y a tellement de choses là-dedans », a reflété son entraîneur reconnaissant. « Sa mère était un peu comme ça aussi. »

Et comme sa mère aussi, cette jument semble être comme un vœu qui ne cesse de se réaliser.

 

Cet article a été publié dans le numéro de fevrier de TROT Magazine.

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