Cette parfaite soirée

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« C’était par une parfaite soirée de juillet, et elle m’a procuré ma plus grande excitation des courses de chevaux, » se rappelle Yves Filion, 69 ans, intronisé au Temple de renommée.


RUNNYMEDE LOBELL

C’était le 28 juillet 2001 pour être précis, et se tenait la soirée Breeders’ Crown à Meadowlands, au New Jersey, où Goliath Bayama, de l’élevage des Fermes Bayama appartenant aux Filion, allait bientôt se gagner un titre qui lui collerait à la peau pour le reste de sa carrière.

Comment Filion, natif de Saint-André-d’Argenteuil au Québec, et appartenant aussi à l’une des plus grandes familles des courses attelées de même que l’un des entraîneurs conducteurs d’élite des trois dernières décennies, a pu se retrouver en un moment parfait de sa carrière, semble impossible.

Après tout, il a conduit dans plus de 18 000 courses totalisant 4 387 victoires et 26,7 M $ de gains. Ajoutez 273 autres victoires pour des gains de près de 3,7 M $ à titre d’entraîneur, ce qui fait bien des photos à passer au crible.

D’autres conducteurs pourraient montrer du doigt son score en North America Cup aux guides de Runnymede Lobell comme étant le grand moment de la carrière de ce membre du Temple de renommée, mais Filion voit les choses différemment.

«Je n’étais pas aussi nerveux quand j’ai gagné la North America Cup. Ce n’est que par la suite que j’ai réalisé que je courais pour plus de 1 M $, mais à ce moment-là, il ne s’agissait pour moi que d’une autre course, tout simplement, » se rappelle Filion.

Alors, où est la différence? C’est facile, la famille.

« Quand on élève soi-même un cheval, qu’on l’entraîne et le conduit, c’est différent. Runnymete Lobell, a été acheté à l’encan de Harrisburg, dit Filion. « Mais, quand ceux que j’ai élevés moi-même gagnent à Meadowlands, défaisant les meilleurs en Amérique du Nord, c’est une tout autre sensation.

«« Goliath » m’était plus spécial encore parce que conduit par mon fils, Sylvain, » de continuer Filion. « J’étais propriétaire de la poulinière, Topaz Blue Chip, et je l’avais menée aussi avant qu’elle nous donne Goliath Bayama. C’était très spécial. »

Les trois courses de la Breeders Crown courues lors de ce programme, furent remplies de grands moments. En cette agréable soirée à l’ancien Meadowlands, une grande foule remplissait la grande tribune agissant des drapeaux italiens en appui à l’envahisseur européen, Varenne, lequel allait gagner la Breeders crown de 1 M $ en un temps record pour le conducteur Giampaolo Minnucci.

La victoire de Varenne fut suivie quelques courses plus tard, par un score facile de la part d’Eternal Camnation, sans doute la plus grande jument ambleuse de l’histoire des courses, dans l’amble de la Breeders Crown pour les poulinières d’une valeur de 332 500 S.

« Il y avait beaucoup d’atmosphère, une très grosse foule et toutes sortes de grandes courses, » se rappelle Sylvain Filion. « Tous les meilleurs entraîneurs et conducteurs du monde étaient là, ce qui rendait l’événement encore plus excitant. »

Goliath Bayama s’est présentée à l’amble de la Breeders Crown de 500 000 $ avec la cote 10-1 ayant fini quatrième lors de sa course éliminatoire, une semaine auparavant, alors qu’elle était menée par Jim Morrill Jr. Il avait toujours été entendu que Sylvain la mènerait en finale, et en quelque sorte, la Breeders Crown ne pouvait qu’être l’occasion parfaite pour père, fils et cheval, de faire amende honorable pour leur courte défaite au The Panderosa l’année précédente pour la North America Cup.

S’il était nerveux, Sylvain ne le démontrait pas.

« Je savais qu’il avait bien couru et j’étais assez confiant même s’il n’était pas favori. De la façon dont il s’est comporté durant la parade pré-course et la période d’échauffement, il se sentait bien, et j’ai pensé qu’avec un petit peu de chance, la possibilité était là, » dit Sylvain.

Gallo Blue Chip est sorti en flèche de la barrière, favori à 4/5 du pari mutuel et enregistra des temps de :26.4 et :54.1 au quart et à la demie, avec Armbro Positive installé en première, essayant d’y rester. Goliath Bayama, avec un Sylvain aussi détendu que possible, n’avait que deux chevaux dans son rétroviseur à mi-course.

Sylvain s’inquiétait-il du fait que le favori s’éloignait de lui? « Pas vraiment, » dit Sylvain. « De la façon dont la course se déroulait, ils se disputaient une chaude lutte en avant et je savais qu’ils auraient à revenir vers mois tôt ou tard. »

Pendant ce temps, dans le paddock sous la grande tribune de Meadowlands, Yves regardait le déroulement de la course, essayant de son mieux, de ne pas laisser filtrer son émotion.

Bien sûr, les parieurs détenant les billets gagnants à 10/1 étaient mentalement prêts pour que Sylvain presse le bouton, criant devant leur téléviseur, se demandant qu’est-ce qui prenait tant de temps. Mais encore, Yves, devant la possibilité d’un jour de paie de 250 000 $ entre les mains, ne ressentait pas de telle anxiété.

« C’est le genre de cheval à ménager pour la fin alors qu’il volerait vers son but comme nul autre cheval. Il avait une vitesse formidable, » de dire Yves. « Quand ils ont atteint le droit de Meadowlands, il reste presqu’un quart de mille pour y aller et avec la vitesse qu’il avait, je savais qu’il pouvait encore venir gagner. »

Puis, Intrepid Seelster et Camotion, entraînés par nos compatriotes canadiens Bob McIntosh et Ben Wallace, ont changé de vitesse de leurs positions de poursuite alors que Gallo Blue Chip bataillaient et qu’un Armbro Positive se repliait.

« Je me souviens que Goliath était huitième à l’entrée du droit, et quand Sylvain a tiré les guides, il a volé droit vers le fil, » dit Yves en souriant.

Dans un beau changement de pied, Goliath Bayama, les yeux exorbités sur la piste, s’est retrouvé une tête devant Camotion, lui-même à seulement un nez de l’intrépide Seelster qui n’était qu’à une longueur de l’entêté chef de file, Gallo Blue Chip, pour une frénétique photo finish. « Ce jour-là, l’annonceur, Ken Warkentin, a prononcé son nom à la toute dernière seconde; il l’appela ‘Voici le monstre de Montréal’ » dit Yves fièrement.

Curieusement, c’est aussi le moment que Sylvain préfère.

« Ce fut un grand appel de la part de l’annonceur, » dit Sylvain en riant. « Vous voyez, le cheval a été élevé sur notre ferme et il est comme un animal de compagnie pour nous. » Le conducteur n’a jamais douté, ne serait-ce qu’une seconde, du résultat.

« Je savais que nous l’avions. C’était serré, mais je savais que nous l’avions. Cela m’a donné une très bonne sensation, » dit Sylvain.

Yves déclare qu’il a profité du moment sans sourciller.

« Je suis plus tranquille. Je ne montre pas tellement mes sentiments, mais après la course, ce n’est pas que je les ai vraiment manifestés, mais à l’intérieur de moi, je n’avais jamais ressenti un tel sentiment. J’étais tellement heureux pour le cheval et pour Sylvain qui le menait, » se rappelle Yves.

Mais peut-être Sylvain pense-t-il différemment.

« Il n’a pas beaucoup parlé quand je suis revenu après, je pense qu’ill était en état de choc. Nous avions confiance en Goliath, mais quand vous gagnez ces grosses courses, vous êtes étonné, » dit Sylvain. « Par contre, j’ai entendu de la part des gens qui avaient regardé la course dans le paddock à côté de mon père, qu’il avait crié au passage du fil, ‘Ouiii’. Il lui a crié le gros ‘Oui,’’ »

Goliath Bayama, un des fils d’Abercrombie, a, ce soir-là, arrêté le chronomètre à 1:48.4. Il allait gagner ses deux départs suivants en des temps aussi rapides, y compris le U. S. Pacing Championship doté d’une bourse de 400 000 K $ la semaine suivante à Meadowlands en 1:48.2 avec une cote de 9-2 (Gallo Blue Chip étant encore une fois à 4-5) ainsi que son meilleur temps en carrière en 1:48.1 à l’Hippodrome de Montréal deux semaines après. Il allait se retirer à l’automne 2002 ayant gagné 1,5 M $ en carrière.

Alors, pourquoi ce soir-là à Meadowlands? Qu’est-ce qui rend ce moment si spécial? La réponse est assez simple, c’est le lien familial et les heures de sang, de sueurs et de larmes requises pour accoupler, pouliner, dresser, entraîner et conduire un cheval de course au championnat.

La voix d’Yves se remplit de fierté quand il parle des chevaux qui sont sortis de sa ferme, Bayama Farm.

« Rebeka Bayama (p,1:48.3; 731 637 $) en est une autre que j’ai personnellement élevée, » de continuer Yves. J’ai dressé la mère et la grand-mère. ‘Rebeka’ a vaincu les meilleures juments d’Amérique du Nord a Meadowlands. C’est une très grande satisfaction. »

Il va de soi qu’Yves, l’un des 11 frères et sœurs de la fratrie, mette de tel matériel dans les lignées familiales, humaines ou équines. Son frère Hervé, est aussi un collègue du Temple de la renommée et Yves accorde tout le crédit au fait qu’il a grandi dans cet environnement pour ses succès.

« Bien sûr, nous sommes huit frères, et tous les huit, nous sommes des conducteurs. Mon frère Hervé, y est déjà, et pour moi, le plus jeune de la famille, le fait de me retrouver au Temple de la renommée est un très grand honneur, » dit Yves.

« Il mérite d’être au Temple de la renommée, » dit Sylvain. « C’est un des ces hommes de chevaux n’ayant pas connu d’échec. Il a tout fait, et bien fait. , »

Yves n’a jamais vraiment senti la nécessité de sortir de l’ombre collective de ses frères.

« Je crois que cela a été une bonne chose pour moi, parce que je pouvais regarder ce que faisaient mes frères et prendre le meilleur de leurs idées et essayer de le faire aussi, » dit Yves. « J’ai été tellement chanceux. L’industrie des courses a été très bonne pour moi. J’ai commencé avec un cheval a l’âge de 17 ans, et a un certain moment, je me suis retrouvé avec 130. » Il va sans dire que Dame chance joue un rôle dans les courses de chevaux, mais Sylvain se reprend vite pour ajouter que son père a aussi été béni de talent.

« Mon père est le septième de ses frères alors on dit qu’il a reçu un don, » dit Sylvain. « Mais, vous savez, quand on parle de quelqu’un qui chuchote aux chevaux, il en fait partie. La façon dont il s’y prend avec des chevaux difficiles est étonnante. Bien des gens lui ont amené leurs chevaux afin qu’il les aide, et il l’a fait.

« Nous avons élevé beaucoup de chevaux et je ne sais pas combien de poulinières il a aidé a pouliner. Tellement de nuits passées a attendre avec la jument et parfois, si elle avait de petits problèmes, il l’aidait, » continue Sylvain. « Tout semble bien aller quand il est la. Il a tout fait a partir d’élever les bébés, l’entraînement, la conduite, la propriété et l’administration d’une ferme. Il y a de très nombreuses années derrière ce moment sur la piste. »

Oui, bien des années se sont écoulées pour en »arriver au moment très spécial de l’intronisation, une photo-finish frénétique avec quatre chevaux, une parfaite soirée de juillet au Meadowlands, avec Goliath Bayama.

« L’industrie a été très bonne pour moi. Je pense que je suis né dans une stalle, avec les chevaux. C’est tout ce que je savais et j’ai été très chanceux »» dit Yves.

Et dans le cas de Filion, nous pouvons modifier l’adage qui irait comme suit : ‘ Il faut être grand pour être chanceux.’

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