Sa relever après une tragédie

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NOUS SOMMES LE 22 AOÛT 2008. Élisabeth Carrier et son conjoint à l’époque, Mario Viens, se trouvaient sur leur ferme de 55 acres sise au sud de Québec, dans le village de Saint-Jean-Chrysostome, quand le malheur a frappé.
Par Paul Delean / Traduction Louise Rioux

Photos: Ann MacNeill (Sees The Moment Photography)

« Nous venions à peine de revenir à la ferme après avoir amené deux chevaux participer à deux courses du circuit régional présentées à Ayer’s Cliff, et nous étions exténués, » se rappelle Carrier.

« Il était environ 18 h. Nous étions dans la maison quand nous avons entendu des cris. Un pompier volontaire qui passait par là avait vu de la fumée sortant de l’écurie. » Tandis que Viens tentait en vain de réprimer les flammes avec un extincteur, Carrier s’amenait soudainement vers le brasier, dans l’espoir de sauver leurs deux chiens Labrador et 11 chevaux qui étaient à l’intérieur.

« J’agissais comme une personne affolée. C’était la pire des choses à faire. J’aurais pu être tuée. Mais tout ce que j’avais en tête, mes animaux. »

Elle sortit de l’édifice en chancelant et tomba à quatre pattes, incommodée par la fumée, et elle fut transportée à l’hôpital par ambulance, pour revenir plus tard en journée pour regarder, à partir de la véranda d’un voisin, les flammes qui consumaient ce qui restait de l’écurie de 160 pieds, en dépit des plus grands efforts de quelque 50 pompiers.

L’inhalation de fumée a aussi pris la vie de neuf de leurs chevaux, y compris tout l’équipement de course. Parmi les victimes, il y avait deux chevaux d’élevage domestique, Duccari, 10 ans, qui avait gagné 17 courses et 89 856 $, et Leocari, 6 ans, qui avait gagné sept fois et collecté 48 911 $.

Les deux chiens ont également péri. Les seuls survivants furent les cinq poulinières et leurs bébés lesquels se trouvaient dans un enclos à l’extérieur, ainsi qu’un cheval qu’un pompier volontaire avait réussi à libérer de sa stalle située le plus près de la sortie.

Cette sombre journée aurait bien pu signifier, et ç’aurait été bien compréhensible, le point de non-retour pour Carrier. Ce ne le fut pas.

À ce jour, le rêve que caressait Élisabeth Carrier en 2008 de posséder un jour un très bon cheval de course, est toujours bien vivant. Bien qu’elle aurait bien pu facilement être anéantie il y a six ans lors de l’incendie de la grange qui détruisit sa petite écurie de course, cette propriétaire/entraîneuse de 64 ans refusa cette possibilité.

Le rêve n’est pas seulement ravivé aujourd’hui, mais il a même une focalisation plus personnelle maintenant que la résidente de Lévis, Québec, est retraitée du domaine des assurances qui lui ont versé le financement de l’histoire d’amour de sa vie auprès des chevaux.

« J’aurais aimé être capable de gagner ma vie avec les chevaux, le faire à temps plein, mais cela ne m’a jamais été possible. C’est peut-être bien mon seul regret. Quand finalement j’ai eu une bonne écurie, la meilleure que j’aie jamais eue, j’ai tout perdu. Ce que je peux encore faire est d’espérer ce grand cheval. Je vois ce qui est arrivé à Luc Blais et Mme Judy Farrow, (les développeurs du trotteur champion canadien Intimidate), je suis tellement heureuse pour eux, et cela m’inspire. Peut-être que cela pourrait aussi m’arriver. Pourquoi pas? C’est le rêve. »

Entraîneuse depuis le début des années 1990 et qui développe son propre troupeau, Carrier a tout juste un peu plus de 750 000 $ de gains en carrière et 200 victoires, la plupart ayant été réalisés sur de petits hippodromes tels que l’Hippodrome de Québec, l’Hippodrome 3R, Scarborough Downs et Ayer’s Cliff.

Sa plus mémorable victoire s’est produite avec un trotteur d’élevage domestique de 3 ans du nom de Dextracari, un fils de son propre étalon, Ducky, lors d’un événement du Québec Sires Stake à l’Hippodrome de Québec.

« Il était loin d’être le meilleur en piste, mais c’était la sienne et tous les meilleurs ont décidé de courir ce jour-là alors que lui restait à son affaire. Je me souviens encore que Gilles Plourde en était le conducteur. Ce fut ma plus grande victoire. »

Carrier s’est d’abord entichée des standardbred dès son adolescence. La cinquième d’une famille de sept enfants, elle a grandi sur une ferme dans la communauté rurale de Pintendre, au sud de Québec, entourée de toutes les races de chevaux. Son père, Lionel, gagnait son pain en en faisant le transport. En été, elle montait les chevaux de son oncle, qui était leur voisin, et avec le temps, elle est devenue une concurrente accomplie en ‘barrel racing’. Durant l’hiver, ils accrochaient des quarterhorses à un traîneau et se promenaient dans les sentiers locaux. « Et nous étions toujours doublés sans effort, par un voisin, Léandre Viens, qui possédait des trotteurs, » de se rappeller Carrier.

« Il nous dit que c’était ce que nous devrions avoir pour faire des promenades en traîneau. Et c’est ce que nous nous sommes procuré. Nous sommes allés à l’Hippodrome de Québec et avons acheté notre premier cheval, Speedy Noireau, de Jean-Marie Potvin, et le payant 1 000 $. »

Speedy Noireau était supposé être aigre et fatigué, mais quelques mois plus tard, il avait regagné de sa vigueur et Carrier a demandé à Potvin s’il pouvait le ramener en course. Telle fut son initiation aux courses de standardbred.

« Il ne gagnait pas souvent mais il a fait entre 6 000 $ à 7 000 $ la première année. Pour nous, c’était comme de l’argent trouvé. Nous ne l’avions pas acheté pour cette raison. C’était bien différent que de gagner des rubans aux ‘barrel races’, dit Carrier, qui travaillait alors à temps plein pour la Royal Insurance à titre d’experte en matière de réclamations incendie.

Speedy Noireau fut le premier des douzaines de chevaux standardbred qu’elle allait posséder au cours des trois décennies suivantes, ainsi que le catalyseur l’encourageant à obtenir sa licence d’entraîneuse. Puis son époux à cette époque, Clermont Dumont, inspecteur de viande au fédéral, s’est lui aussi intéressé au sport.

« J’ai été en contact avec plusieurs races mais j’aimais vraiment les standardbred. Ils sont adorables, tellement agréables au travail, » de dire Carrier. « Notre façon de faire consistait à acheter des chevaux dont personne ne voulait. Nous ne disposions pas d’un gros budget. Ma seule et unique exigence était qu’ils aient bon caractère et qu’ils soient faciles à manœuvrer. Je ne voulais pas qu’un accident arrive dans l’écurie. J’avais deux jeunes enfants, mes filles Corinne et Marjorie Dumont, cette dernière étant maintenant entraîneuse en Alberta avec son partenaire J. F. Gagné. »

Dilettante en course de chevaux, Carrier a effectué un changement de carrière incontestable, laissant le domaine des assurances en 1984 pour démarrer une exploitation d’élevage de lapins avec Dumont. Ils fournissaient les restaurants de Québec et de Montréal.

« J’aimais la vie sur la ferme mais je voulais élever quelque chose que je pouvais gérer seule, et les lapins sont plus facilement gérables, » dit-elle. « J’ai bien aimé l’expérience. Nous avions une petite écurie derrière celle où nous gardions les chevaux qui coursaient les fins de semaine. L’exploitation du lapin est devenue très grosse. À une certaine époque, nous en avions environ 10 000 à la ferme. Nos ventes s’élevaient à 250 000 $ par année.»

Elle se retira de cette aventure après 10 ans, quand leur relation prit fin. Ils ont réparti l’écurie de course et Carrier revint au domaine de l’assurance. L’industrie des courses au Québec connaissait un grand ralentissement durant ces années, mais Carrier n’allait pas se laisser décourager.

Elle et son nouveau conjoint, Viens, forgeron de métier, se sont installés à la ferme de Saint-Jean-Chrysostome, et graduellement, ont agrandi leur écurie, pour étendre leurs activités à l’élevage.

En 2008, ils possédaient 15 chevaux, y compris un étalon, des juments poulinières, leurs bébés et des chevaux de course. Et c’est à ce moment que la tragédie a frappé.

Soutenus par la famille et les amis, elle et Viens ont reconstruit. Lyne Carrier, sa sœur, entrepreneur en construction, fit transporter de la machinerie pour nettoyer le site. Les voisins, amis et familles des deux côtés, ont gracieusement travaillé.

Trois mois plus tard, juste à temps pour l’hiver, ils avaient un nouvel abri de 12 stalles pour leurs chevaux rescapés. Un projet de construction qui aurait dû coûter 350 000 $ est revenu à environ la moitié de ce coût, les assurances ayant versé 100 000 $.

« Sans cette aide, je ne serais plus sur la mappe aujourd’hui, » selon Carrier.

« Je me souviendrai de toute cette bonté jusqu’à mes derniers jours. »

Elle et Viens ne sont plus ensemble, mais Carrier demeure toujours à la ferme, prenant soin de ses trois chevaux et demi avec l’aide de son voisin, Denis Bélanger, un entraîneur. L’étoile de son écurie est le cheval hongre de 5 ans, Aworthy Bi (13 victoires et 18 852 $ de gains en 2013 et 2014), un cheval malchanceux qui a survécu à une attaque vicieuse par un animal inconnu alors qu’il était dans le champ.

Ce sont des concurrents aux talents modestes, loin des ligues majeures des standardbred, courant à Rideau-Carleton, à l’Hippodrome 3R ainsi que sur les pistes des foires du Québec, mais cela n’atténue pas le moins du monde l’enthousiasme de Carrier.

« Ça toujours été mon plaisir et c’est encore agréable, » dit Carrier, qui siège au conseil d’administration du Circuit Régional Québec.

« C’est un monde un peu fou, mais c’est mon monde. Je crois avoir toujours été une femme évoluant dans un monde d’hommes – et c’était la même chose dans les assurances – mais cela n’a jamais été un problème pour moi. Dresser un poulain - c’est difficile aujourd’hui. Mais j’aime les chevaux et les gens qui aiment les chevaux. Ce sont des gens de cœur. Il faut un petit brin de folie dans la vie. C’est la mienne. »

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