À la conquête d’improbables sommets

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Si vous ne croyez pas aux contes de fées, n’allez pas plus loin. Vous ne voudrez sans doute pas en savoir davantage sur l’incroyable parcours du trotteur Intimidate, passant de l’obscurité aux plus hauts niveaux des courses sous harnais, ainsi qu’au sujet des deux petits propriétaires provenant d’une petite ville du Québec qui se pincent encore après la course d’une vie. Trop Disney. Complètement peu plausible

Par Paul Delean • Traduction Louise Rioux • Photography by Matt Waples

Et encore, c’est arrivé à Luc Blais et Judy Farrow, duo québécois qui a élevé le diminutif dynamo, l’a gardé en dépit de l’effondrement de l’industrie des courses au Québec qui a coûté la vie à d’innombrables standardbreds, l’ont développé et renforcé sur une piste à l’écart des projecteurs, ont pris un très grand risque financier en le faisant courir contre les meilleurs trotteurs de trois ans d’Amérique du Nord, et ils ont été récompensés en se méritant l’un des plus grands prix du sport, la Breeders Crown d’une bourse de 555 000 $.

« C’est hors du commun, une histoire invraisemblable à la fin improbable. Je ne cesse de secouer la tête. C’est la preuve que même à 71 ans, on peut vivre une histoire de Cendrillon, » rit Farrow, qui a maintenant le coussin financier nécessaire pour remplacer sa vieille Toyota Corolla 1996.

« C’est l’histoire d’un négligé, et c’est le genre d’histoire qui touche toujours les gens. Je suis un gars bien ordinaire. Si je peux le faire, tout le monde le peut, » dit Blais, 50 ans, fils d’un représentant commercial de Papineauville, à l’ouest du Québec, qui s’est d’abord intéressé aux standardbreds lorsqu’il était enfant, et qu’il regardait les chevaux de son père courir sur les pistes des foires du Québec, pour en apprendre par la suite les rudiments en travaillant pour le compte de Bayama Farm, Rheo Filion et l’entraîneur américain Doug Hamilton.

Horseman professionnel depuis 30 ans, Blais jouissait du respect de ses pairs mais d’un relativement modeste succès dans le sport qu’il avait embrassé après de brefs passages dans le domaine bancaire et de la construction.

Jusqu’à cette année, les hauts faits de sa carrière ont consisté à l’entraînement de chevaux tels Goliath Bayama, Topaz Blue Chip, Goodtime Bayama et Ring of Life alors qu’il était à l’emploi de Bayama Farm, faisant campagne avec les gagnants de 200 000 $, Unanimously et Gogogadgetgo de même que la finale du Prix du Québec à Montréal avec la poulinière trotteuse Dicent No.

Récemment, par contre, les victoires en courses stakes se sont faites rares. Le programme Québec Sires Stakes qui l’a soutenu durant deux décennies, a été aboli, et il a dû s’en remettre aux courses ordinaires au Rideau Carleton Raceway, pas très loin de sa ferme de 40 acres achetée il y a sept ans, et qui est située dans le village québécois de Lochaber Ouest, pour rencontrer les fins de mois de son écurie d’élevage et de course d’une vingtaine de chevaux. L’hiver dernier a été particulièrement difficile, dit-il.

Farrow, elle aussi, traversait une période pleine de défis. Née en Angleterre, elle est venue au Canada en 1961 pour ce qui se devait d’être le premier arrêt d’un voyage autour du monde, mais elle est restée pour élever sa famille après avoir rencontré l’homme qui devint son mari, lors d’une course automobile à Watkins Glen, N. Y. Ce fut une existence en dents de scie qui a touché le fond en 1988 quand la famille a été évincée de la ferme où ils élevaient des bovins. Durant quelques mois, Farrow et son fils, Trent, ont vécu chez des amis.

Au cours des années 1990, elle a refait sa vie avec un nouveau partenaire, Wayne McNaughton, un fermier qu’elle avait rencontré quand l’ex-femme de McNaughton avait frappé l’une de leurs vaches sur un chemin de campagne. À la demande d’amis, McNaughton commença à prendre en pension des juments standardbred sur leur ferme de 112 acres à Hemmingford, au Québec, tout près de la frontière avec New York.

L’arrivée des chevaux a intéressé Farrow à l’élevage et aux pedigrees, et elle a éventuellement acheté l’une des poulinières en pension pour la somme de 1 500 $. Le premier poulain qu’elle a élevé elle-même, un fils de Flight Of Fire appelé Farrow Fire, s’est vendu 10 000 $ à l’encan en 1996, et Farrow décida qu’elle allait continuer. C’était à elle de jouer maintenant, cependant, dès 2006, McNaughton est décédé du cancer à peine quelques mois après avoir reçu son diagnostic.

Farrow avait bâti son exploitation d’élevage autour de six juments poulinières lorsque l’industrie des courses au Québec s’est effondrée, emportant avec elle le marché des yearlings d’élevage québécois. L’une de ces poulinières était Fabulous Tag, le cheval qui l’avait en premier lieu connecté à Blais en 2008.

« J’avais acheté une jument Mr Lavec qui s’appelait Canadian Stitch et qui était gestante de Tagliabue, pour la somme de 5 600 $ à un encan en Ohio, et dont le bébé était Fabulous Tag, » dit Farrow.

Il n’était pas de son habitude de faire courir ses propres chevaux, mais elle décida de s’essayer avec Fabulous Tag; alors elle appela Blais. Elle le connaissait bien car il avait acheté une couple de ses yearlings pour des clients aux encans, spécialement l’ambleur Surf L A, gagnant de courses stakes (31 000 $), et elle l’a rappelé plus tard pour savoir comment ils allaient.

« Nous ne sommes pas si différents en tant que personnes, » dit Blais. « Nous sommes tous les deux honnêtes et francs. J’avais confiance en sa connaissance des pedigrees, et elle en ma capacité de horseman. »

Blais accepta de prendre Fabulous Tag, l’a débourrée et en acheta la moitié. Elle avait des problèmes aux genoux mais elle a quand même gagné huit courses à trois et quatre ans à Montréal et Ottawa collectant plus de 50 000 $ pour les partenaires.

Ils l’ont arrêtée par après, et en 2008 Farrow décida de l’accoupler à un nouvel étalon trotteur du Québec, un fils de Garland Lobell du nom de Justice Hall dont les frais de saillie s’élevaient à 2 500 $.

Le fruit de cet accouplement fut Intimidate, né juste au moment où l’industrie des courses a implosé en 2009.

Dès le début, le poulain était difficile, se rappelle Farrow. « Il était toujours à courir après les autres bébés, et c’est la raison pour laquelle nous lui avons donné ce nom. Il n’était pas méchant, il semblait toujours rempli d’énergie. Quand je l’ai remis à Luc à six mois, je lui ai dit qu’il voudrait le faire châtrer. »

Blais dit que le poulain a démontré son talent dès la première journée et sa volonté d’apprendre, mais il était plus enjoué que la majorité et il avait quelques problèmes physiques. Il a gagné son premier départ à deux ans en 2:04 à Rideau Carleton, puis il brisa son allure lors des deux suivants. Blais l’a arrêté, l’a mis au repos pendant trois mois en stalle, et durant l’hiver, il l’a fait châtrer.

À trois ans, Intimidate était prêt à se lancer. « Il était plus sain, plus mature, et avait toute cette grande accélération. Il a toujours eu le moteur qu’il lui fallait pour être un bon cheval. La question était plutôt de savoir s’il avait l’endurance, » de dire Blais.

Après une sixième place à Rideau lors de son premier départ en avril, il s’est offert huit victoires et deux deuxièmes positions lors de ses 10 départs suivants pour trois conducteurs différents : Blais, Yves Filion et Simon Allard.

« Il a repris confiance dans les plus petites classes. Il n’avait pas l’obligation de toujours courir à pleine vapeur. Et il a continué de s’améliorer, » dit Blais.

Le ‘Canadian Breeders’ Championship’ à Mohawk en juillet, figurait à leur programme, mais Blais ne le sentait pas prêt et il ne fit donc pas le paiement final. « Je ne voulais pas lui mettre de pression. Il avait connu quelques petits problèmes musculaires. Nous n’avions pas vraiment de plan. J’avais tout simplement l’impression qu’il n’était pas prêt. »

Un chronomètre de 1:56.1 dans une course avec conditions à Rideau le 26 août l’a convaincu que le cheval hongre était prêt pour le grand public, et Blais l’a inscrit au Simcoe Stakes à Mohawk, le 1er septembre.

« La course stake Simcoe était une course sans récurrence. Il n’était admissible à aucune autre. Quoi qu’il advienne, au moins nous l’aurions essayé, » de dire Blais.

Sylvain Filion étant engagé avec Prestidigitator, et Simon Allard à Georgian Downs pour la présentation du programme Xtreme Horsepower, Blais a fait appel au vétéran conducteur américain Ron Pierce.

Habituellement pas un coureur de tête, Intimidate s’est retrouvé meneur du peloton après un éprouvant demi-mille en :54.4, mais il a courageusement joué le jeu et lutté jusqu’au fil contre Little Brown Fox qui le suivait, pour perdre par un cou dans un record de piste de 1:51.4 avec des cotes de 27-1. Il a collecté 61 630 $ des 246 521 $ de la bourse, ce qui est plus que ce qu’il avait gagné lors de ses 13 départs précédents.

« Pour être franc, j’étais plus excitée par cette course que celle de la Breeders Crown, » dit Farrow. « Mon fils Trent était avec moi et nous étions tellement remplis de joie, que quiconque aurait pu penser que nous venions de gagner. Nous étions éblouis par ce qu’il venait d’accomplir. Nous avions le sentiment d’être en possession de quelque chose de spécial. »

Blais avait hâte de le voir le lendemain, « mais il était le même. Tout ce qu’on souhaite c’est qu’ils s’en remettent. »

Il a choisi Mohawk et Woodbine pour ses deux départs suivants et il n’a pas déçu, les gagnant tous les deux en plus d’abaisser sa marque à 1:53.1 aux mains du conducteur Doug McNair.

Le 15 octobre, Blais et Farrow se sont retrouvés devant une décision déchirante à prendre, soit celle de l’inscrire ou non à la Breeders’ Crown à Woodbine, au coût de 62 500 $ (parce qu’aucun autre cheval ni étalon n’avait été inscrit).

« J’ai laissé cette décision à Luc, » dit Farrow. « C’était de son ressort. »

suit : « Je pourrais dépenser le même montant pour acheter une couple de yearlings lesquels pourraient très bien ne jamais arriver à quelque chose, ou je pourrais le dépenser sur un cheval que je connais déjà, et qui me procurerait un frisson de plaisir. »

« Farrow attendait son appel. « J’ai tout de suite compris quand il m’a dit ‘à qui dois-je faire le chèque?’ se rappelle-t-elle dans un petit rire.

« Bien honnêtement, je me suis senti très bien après avoir fait le chèque » dit Blais. « J’avais pris la décision, et j’allais vivre avec. Je connaissais mon cheval, et combien il était honnête. Nous étions engagés solides et sait-on jamais ce qui peut arriver lors d’une course, de la malchance ou la maladie. Même si nous devions perdre cet argent, j’estimais que nous pourrions nous reprendre dans les courses ordinaires. »

Pour ajouter à la pression, le cheval était inscrit dans une course à Woodbine cette même soirée. « Je croyais que la date limite d’inscription pour la Breeders Crown était le lendemain, et cette course allait me donner un dernier indice qu’il était prêt, » de dire Blais.

Ç’aurait pu être à l’opposé, mais tel ne fut pas le cas. Intimidate a enregistré une confortable victoire en 1:54.4 pour son sixième conducteur, Sylvain Filion, un ami proche de Blais depuis leurs jours ensemble à la Bayama Farm.

Filion était de retour dans le sulky pour l’éliminatoire de la Breeders’ Crown à Woodbine le 25 octobre. Dans un peloton qui comprenait Market Share, gagnant de l’Hambletonian, Intimidate s’est défait de tous les obstacles, partit en flèche de la septième position lors du dernier tournant pour courir sur Market Share et gagner par une longueur en 1:53.1 et des cotes de 11-1.

Tout à coup, le petit cheval de piste ‘B’aux œillères mâchouillées se révélait un concurrent sérieux. Quelqu’un partageait certainement cet avis. Blais reçut une offre par courriel d’un montant allant bien au-delà de ce qu’ils collecteraient s’il gagnait la finale de la Breeders’ Crown.

« Cela m’a fâchée, » de dire Farrow. « Luc en avait déjà assez à gérer. Je ne voulais pas que quelqu’un vienne jeter le déchirement dans ce party fabuleux que nous vivions. J’ai dit à Luc ‘tu pourrais te faire construire une belle maison, mais cela voudrait dire remettre les guides de ce petit cheval à quelqu’un d’autre pour ne jamais plus le revoir. Tu entrerais dans l’écurie et sa tête ne serait plus la première que tu verrais. Réfléchis à tout cela, et reviens-moi. »

Blais a dit ne ressentir aucune pression de la part de Farrow, mais il ne pouvait pas ignorer l’offre. « Je ne suis pas un gars d’argent. J’ai 50 ans. Il faut penser à l’avenir. J’ai rencontré un comptable. Puis j’ai pensé ‘c’est ce que tu as voulu faire toute ta vie’. J’ai travaillé pour des gens qui vendaient leurs bons chevaux et gardaient leurs moins bons. Ils ne sont plus en affaires maintenant. J’aime ce que je fais, et à l’échelle que je le fais. »

Alors j’ai répondu non, mettant en scène le scénario d’une finale de la Breeders’ Crown, façon hollywoodienne.

Joint à Pierce pour la finale, Filion étant lié à Prestidigitator, Intimidate a pris sa place habituelle bien au-dessus de l’allure, avança rapidement pour contourner le dernier tournant puis dégagea son élan impitoyable de fin de course. Cette fois-ci, ce n’était même pas proche. Au son d’une énorme clameur venant des fans qui avaient embrassé son histoire et l’avaient préféré à 3-2, Intimidate atteignit le fil d’arrivée avec trois longueurs d’avance pour signer son meilleur temps en carrière soit 1:52.4, larguant Little Brown Fox et Market Share dans son sillon.

Blais regardait la course du paddock avec son fils, Justin, 23 ans. « Quand nous l’avons vu passer, nous nous sommes sauté dans les bras. C’était toute une sensation. »

Farrow qui se tenait en bordure de piste avec ses enfants Tracy, Kyla et Trent, étaient tout aussi réjouie. « Ce fut incroyable… un événement très spécial et rassembleur. J’ai de la famille partout dans le monde, des nièces et neveux, qui suivent ce cheval sur sa page Facebook – Intimidate the trotter). »

Ils projettent de reposer le cheval hongre, puis de l’inscrire dans les principales courses pour trotteurs plus âgés en 2013. L’une des courses que Blais aimerait beaucoup gagner c’est la Frank Ryan Trot à Rideau-Carleton, là où tout a commencé pour le cheval aujourd’hui connu sous le nom de « The Intimidator. »

Farrow déclare que Blais mérite le plein crédit pour l’ascension du cheval. « C’est un homme tellement dévoué. Il veut que tout soit parfait. »

Ses propres projets sont incertains. Elle réfléchissait au fait de se retirer du domaine de l’élevage même avant que les deux poulinières qu’elle a élevées cette année, soient restées stériles. « À 71 ans, gérer des bébés n’est pas un pique-nique. Ils sont imprévisibles. » L’incertitude qui entoure l’industrie canadienne des courses est aussi une grande inquiétude. Suivre Intimidate dans son horaire 2013 lui apparaît beaucoup plus agréable à ce stade.

Blais, de son côté, « s’est remis à rêver » avec une couple de jeunes chevaux achetés aux encans, l’un payé 8 000 $ et l’autre, 12 000 $.

« C’est difficile de croire que tout cela est arrivé, » dit-il, « mais les décisions ont été faciles à prendre avec ce cheval. Ce fut pour moi un plaisir de l’entraîner. Il ne m’a jamais désappointé. Étape par étape, semaine après semaine, il nous a emmenés là. Cela démontre que si vous persistez, tout est possible. »

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